Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Au Pays des Conogans

Episode 1/2

Episode 1/2

Ce matin là, le Pays des Conogans se réveilla dans la douleur.

Vers l’Orient, le ciel commençait à s’éclaircir, on voyait au loin la silhouette des montagnes couvertes de forêts s’y découper. La lune au masque souriant se reflétait encore sur le miroir dépoli de l’étang. Un léger brouillard montait de ses eaux endormies pour se transformer en un voile mouvant, suspendu entre deux souffles d’air sentant l’humus.  Les pépiements matinaux et guillerets des passereaux accueillaient cette nouvelle journée printanière.

 La nature s’éveillait frileusement, quand tout à coup un hurlement retentit, ricochant sur le plat de l’eau, se répercutant à travers le bourg et alarmant les habitants en leur poignardant les entrailles.

Certains, sortirent sur le seuil de leur maison, d’autres ouvrirent leurs volets et se mirent aux fenêtres enfin d’autres plus craintifs préférèrent se calfeutrer dans leur demeure attendant les nouvelles. Le cri déchirant avait laissé place à des gémissements et des pleurs de désespoir. Ceux-ci se rapprochaient de la rue principale et les villageois virent alors sortir des brumes Yann le berger, titubant portant dans ses bras un volumineux objet enveloppé dans sa pèlerine. Au niveau des premières habitations, il s’immobilisa, un son rauque et roulant comme le tonnerre sortit de sa large poitrine le faisant vaciller et s’écrouler à genoux sur le sol. Le paquet roula, le manteau s’entrouvrit et laissa apparaître un petit corps nu, immobile et blanc. Un murmure s’éleva parmi les curieux, des questions fusèrent, Erwan le forgeron s’approcha, le premier de Yann, suivi de Kerrian l’aubergiste. Ils s’accroupirent et hésitants retournèrent l’enfant sur le dos pour l’identifier. Ils regardèrent au dessus de leurs épaules leurs concitoyens paralysés dans l’attente et l’angoisse du nom de la victime. Erwan fit non de la tête les informant ainsi que l’enfant était mort. Les femmes n’osaient s’approcher, elles s’accrochaient les unes aux autres et pleuraient. C’était la deuxième petite victime qu’on leur ramenait au village depuis les Pâques.

La première datait d’il y a juste vingt-huit jours, c’était Ronan, le fils aîné de Tescelin l’apothicaire qui avait été retrouvé, dans les marécages bordant l’étang. Alan le pelletier relevait ses pièges à rats musqués quand il avait trouvé parmi les plantes aquatiques le corps sans vie du garçon. Il avait fait froid cette nuit là, aucun nuage n’était venu cacher les myriades d’étoiles et l’astre lunaire. En début de soirée, l’aspect de la lune avait perturbé les Conogans. Tous savaient que lorsque le disque est rougeoyant dans le ciel c’était de mauvais augures, même si par la suite, il s’éclaircissait pour devenir d’un blanc laiteux. Après leurs dernières prières, les villageois s’étaient endormis, pendant que Guerarht, le veilleur de nuit passait dans les rues du bourg pour assurer leur sécurité et leur repos.

Au petit matin, les lueurs du soleil levant avaient révélé un paysage figé, revêtu d’un fin manteau blanc et froid. Alors que les habitants se réveillaient, que les échoppes ouvraient leurs volets et que les étals s’installaient sur la rue principale, on avait vu Alan le pelletier courir comme un canard sans tête. Il appelait à l’aide, bouscula Yann le berger et Erwan le forgeron qui se trouvaient sur son chemin discutaillant furieusement.  Il leur avait demandé où se trouvait Guerarht le veilleur de nuit, hurlant qu’il devait quérir urgemment celui-ci et le Bourgmestre Guézennec. Ce dernier avait pris son temps pour s’apprêter et sortir de sa demeure portant sa livrée de baronnet, sans oublier les attributs de sa fonction.

Enfin les villageois suivirent les cinq hommes prenant la direction de l’étang. Sur le bord de l’eau, entre les roseaux, ils les avaient vus s’agenouiller, discuter, hocher de la tête. Ils avaient alors découvert l’horreur. Le jeune corps de Ronan, nu, violacé par le froid et la mort, portant sur son côté gauche, au niveau de son cœur une grande balafre grenat.

- « Ronan, le fils de Tescelin l’apothicaire » avait chuchoté le Bourgmestre à voix basse.

- « Ronan ? » avait repris la foule craintivement,

- « Ronan ! » avait hurlé Tescelin l’apothicaire et père de l’enfant.  Ronan ! Non ! Ronan… Laissez-moi passer… Gaïda, notre fils ! Ronan ! Avait-il crié encore une fois en s’effondrant en larmes sur le corps de son aîné de dix ans.

La foule s’était écartée pour laisser passer Gaïda, l’épouse de l’infortuné apothicaire. Elle ne parlait pas, elle ne pleurait pas, elle s’était accroupie, avait caressé la tête blonde de Ronan. Tescelin avait ôté son mantel en drap de laine et avait enveloppé le jeune corps. Sa femme s’agrippait à son bras, il s’était levé l’enfant serré sur sa poitrine et il avait entraîné Gaïda vers leur demeure. Ils ne disaient mot, Tescelin regardait le visage de son fils, son sosie avec trente ans de moins lui avait-on dit. Il clignait des paupières et avait murmuré à sa femme :

- « Nous n’aurions point dû venir ici quand nous quittâmes du Pays des Punigans. Nous aurions dû fuir loin de la Enora et de l’autre… Ne te l’avais je point dit… Viens, Gaïda, il nous faut le préparer présentement. »

Killian Guézennec le bourgmestre suivi de loin de la foule les avaient accompagnés jusqu’au seuil de l’apothicairerie puis les avaient laissés à leur tâche douloureuse et à leur peine.

Tous avaient alors commenté l’évènement, se demandant qui avait pu commettre un tel acte de barbarie et pourquoi ?

Soudain une voix de femme, pleine de colère, avait hurlé à la foule :

- « C’est le Diable !  Oui, le Diable, j’ vous le dis… Moi Rozenn votre guérisseuse ».

La femme avait fendu la populace pour se rapprocher du Bourgmestre qu’elle avait toisé avec assurance.  Elle s’était signée pour éloigner le mauvais esprit et avait ajouté d’une voix forte et grinçante : « Hier, la lune était mauvaise, vous n’avez pas voulu m’en croire… Des balivernes, des médisances que vous disiez… Eh bien non ! C’est ben l’œuvre de Satan… aidé d’une de ses complices… »

- « Mais qu’est-ce que cette histoire ? … Moi, Kilian Guézennec, votre Bourgmestre, vous prie vous les gens du Pays des Conogans de ne point… », avait tenté d’intervenir celui-ci aussitôt interrompu par la Rozenn.

- « C’est ce’t Enora l’étrangère avait repris la Rozenn, sûr que c’est elle ; elle est la comparse du Diable. Elle porte le mauvais œil en elle. Depuis sa venue chez nous, nous avons malheurs sur malheurs. Ma sœur Soléna est morte par sa faute. La Enora lui a donné une potion qui lui a fait perdre la tête. C’est pourquoi ma sœur s’est pendue. Toi, Katell, tu as perdu ton bébé le lendemain du passage de cette sorceresse chez toi. Et toi Radulf, tes humeurs malignes qui t’empoisonnent l’intérieur, c’est sa médecine qu’elle te donne et ses prières. A son arrivée au village, l’année dernière, les récoltes ont pourri dans les silos. Ces dernières semaines, il nous a été impossible de semer les blés pour l’année en cours tant il a plu. Et maintenant c’est l’enfant de l’Apothicaire. Cette Enora, fille du Pays des Punigans, c’est une étrangère, elle nous apporte le malheur. Point de mensongeries de votre Rozenn, je l’ai vu maintes nuitées chanter sous la lune. Elle a les cheveux rouges comme le sang, comme la lune d’hier… Et ses yeux ! On ne peut les regarder sans être glacé par un froid étrange qui vous saisit l’âme. Ils sont le reflet de la sienne, les yeux du diable, changeants comme elle. C’est une sorcière, je vous le dis. Il faut s’en débarrasser. Où est-elle ? La sorcière ! Regardez tous, elle est là-bas à l’entrée du bourg, elle se garde bien d’avancer…  L’étrangère nous nargue, elle est venue se repaître de nos malheurs. Saisissez vous d’elle ! Ne la regardez pas dans les yeux, elle va vous jeter un sort. »

Hommes et femmes crièrent leur haine et se précipitèrent sur Enora pour la saisir et la rouer de coups.

Erwan le forgeron, Guerarht le veilleur de nuit et Yann le berger étaient intervenus à grands cris, les bousculant méchamment et retenant leurs bras et jambes pour empêcher une mise à mort certaine. Le calme revenu, Kilian Guézennec, le Bourgmestre prit la parole :

  • « Nous, Bourgmestre par la volonté de notre Seigneur, nous ordonnons présentement que la dénommée Enora du Pays des Punigans soit à ce jour mise en sa demeure et retenue le temps de nos investigations et décisions. Elle sera placée sous la surveillance en continu de Guerarht, notre veilleur de nuit aidé dans sa charge par son fils le jeune Per. Jugement sera porté à l’issue de cette quête de la vérité. Que Dieu nous vienne en aide. »

Dans la semaine qui suivit, le jeune Ronan fut enterré avec la bénédiction de l’Abbé Tancrède et le Bourgmestre visita les habitants et les interrogea. Rozenn la guérisseuse restait sur ses positions et Enora niait d’être responsable de la mort du fils de l’apothicaire. Elle affirmait que le seul reproche qu’on pouvait lui faire c’était son appartenance au Pays des Punigans. Les témoignages relevaient plus de la méchanceté et de la jalousie de certains à l’encontre de leurs voisins, aussi l’enquête piétinait.

 Dans les rues du bourg les habitants commentaient en catimini le crime, un certain malaise régnait parmi eux, les têtes s’abaissaient, les regards se détournaient. La place publique était désertée, les files d’attente devant les étals s’étaient faites rares et silencieuses et les enfants ne traînaient plus dehors après le coucher du soleil.

Vingt-huit jours s’étaient écoulés ainsi et ce matin ce hurlement, cette découverte macabre. Toute cette horreur et ces évènements passés ressurgissaient de la mémoire de chacun. La découverte de la deuxième victime remettait en question la condamnation d’Enora l’étrangère et confirmait la présence d’un criminel dans les environs.

Là sur le chemin, Erwan le forgeron, Yann le berger et Kerrian l’aubergiste regardaient médusés, le visage de marbre de Guérande, c’était le fils cadet de l’apothicaire Tescelin.

Guerarht le veilleur de nuit laissa passer Tescelin qui s’agenouilla, anéanti par la douleur en découvrant là son deuxième garçon exsangue. Il saisit le petit corps sans vie, le serra dans ses bras et le berça en l’embrassant sur le front. Comme Ronan, une profonde estafilade marquait son thorax et le sang coagulé qui s’en était échappé tacha son surcot bleu ciel. Il revécut sa première peine, la souffrance l’étouffait et ce fut avec l’aide de Erwan le forgeron qu’il se releva emportant son fils avec lui. Gaïda, son épouse n’était pas là, depuis l’autre matin elle ne sortait plus de sa maison, elle passait ses journées dans ses appartements refusant de voir ou de servir les Conogans quand ceux-ci venaient dans l’apothicairerie.

« Elle n’aura plus à s’occuper de ses deux beaux fils, pensa Erwan, ils ne sont plus là.

Le bourgmestre s’avança vers l’apothicaire, lui donna l’accolade et lui promit de faire la lumière sur ces deux horribles meurtres. Tescelin releva la tête, le fixa dans les yeux et lui dit :

- « Alors, ce n’était pas Enora la coupable ? Je suis venu dans votre pays à votre demande, croyant y trouver la paix qui m’était refusée au Pays des Punigans… Pourquoi mes fils ? Ronan d’abord et maintenant Guérande… Et mes filles Pernette et Guillemette seront-elles les prochaines ? Qui veut du mal à ma famille ? Trouvez le coupable et débarrassez-nous-en ! »

Il tourna le dos au Bourgmestre et pénétra dans son officine. Ce dernier s’avisa de la proche présence de ses concitoyens venus écouter les propos échangés alors il les regarda les uns après les autres et leur dit froidement :

- « Je… Hum, hum… Nous, Kilian Guézennec, Bourgmestre de notre état, par la volonté de notre Seigneur, reconnaît que nous avons accusé à tort la dénommée Enora du Pays des Punigans. Elle n’est point coupable ! La haine de l’étranger nous a abusés ; L’intolérance pour ce que nous ne comprenons pas nous a mis en confusion… Cela doit cesser. Nous, bourgmestre du Pays des Conogans devons convoquer toutes les personnes que nous jugerons nécessaires pour éclaircir ce double infanticide… Cette ignominie. Nous exigeons que justice soit faite cette fois ci. »

Son regard survola la foule et s’arrêta sur Rozenn la guérisseuse, il la fixa un bon moment et lui dit :

- Vous Rozenn la guérisseuse ! Vous avez mis tant d’ardeur à jeter la pierre sur l’étrangère, la Enora, que nous aimerions savoir quelle en est la raison ? Vous serez la première que nous interrogerons. Allons de ce pas à la maison publique où vous serez entendue. Guerarht et vous Monsieur l’Abbé Tancrède venez avec nous, témoins de ces causeries vous serez. Guerarht, je nomme votre fils Per veilleur de nuit pour vous remplacer le temps nécessaire à l’enquête. Monsieur l’Abbé vous prendrez des notes ; vous êtes un des seuls à savoir lire, écrire et compter de par ici. »

A suivre...

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
Coucou Claudine,<br /> Je me doutais qu'il ne s'agissait pas du même personnage. C'est que je venais de lire la série des Passagères. C'est idiot :)
Répondre
Y
Aie aie aie, durant 16 ans j'ai passé mes vacances dans le Trégor, ici nommé pays des Conogans. J'ignorais que ses habitants il y a longtemps, étaient adeptes de croyances qui ont dû faire froid dans le dos de plus d'un ! L'un d'entre eux est-il un tueur d'enfants ? De nos jours le nommerait-on 'tueur en série' ? Brrr j'en tremble ! Je pense que la suite du récit doit être prometteuse et quelque peu 'croustillante' ... En tous cas l'intrigue est présente. A bientôt les Bretons.
Répondre
N
Chouette de retrouver ton univers avec ses descriptions de la campagne, de son atmosphère, on peut sentir la nature, voir la lune et le soleil, grâce au style d'écriture très imagé. L'histoire se passe dans un pays "autre", dans un " autre" temps mais qui pourraient nôtres. Les personnages typés par leur fonction, universels par leur caractère; aux noms plein saveur sont également présents et bien mis en place pour nous entraîner dans l'intrigue. <br /> ( Est-ce la même Enora dont les filles ont voyagé dans le temps?...)<br /> Vivement la suite!
Répondre
C
Oupssss, rien à voir avec la Enora "des passagères du hasard". J'aime ce prénom, je l'utilise trop souvent... J'aurais dû faire attention et choisir un autre pour la mère d'Artémis et de Simétra ; car ce voyage au Pays des Conogans ( 2010) est bien antérieur à celui du Pays Ay-Uhel.(2022)
L
Par ta plume, je me suis laissée porter par l'histoire. J'ai éprouvé plus d'empathie pour Enora qui pourtant de prononce pas un mot que pour Tescelin. Les meurtres me sont apparus comme un prétexte pour traiter de manière très convaincante les rapports humains dans un contexte de défiance, de superstition, et d'acceptation de la différence . Rozenn s'est-elle sentie menacée par Enora? Qui s'en est pris aux enfants? Que s'est-il passé pour Tescelin au pays des Punigans, pays dont est originaire aussi Enola? Cette première partie plante le décor et soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Hâte de lire la suite
Répondre