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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Images du passé

Images du passé

 

A la seule évocation des marchés de Provence, allez savoir pourquoi, je ferme les yeux et veux me plonger dans cet univers si justement chanté et célébré par Monsieur Gilbert Bécaud. Sa musique me trottine dans la tête et ses mots épicés à l’accent du pays d’oc frétillent dans mon imaginaire pour se poser dans ma bouche avant de prendre leur envol.

« Voici pour 100 francs du thym, de la garrigue
Un peu de safran et un kilo de figues
Voulez-vous, pas vrai, un beau plateau de pêches
Ou bien d’abricots ?

Voici l'estragon et la belle échalote
Le joli poisson de la Marie-Charlotte
Voulez-vous, pas vrai, un bouquet de lavande
Ou bien quelques œillets ? »

 

Une vive émotion me saisit alors et je me découvre enfant parcourant le marché de ma prime enfance.

Je n’ouvre pas les yeux, je veux garder ce film dans ma mémoire et le vivre encore une fois.

Je sens une main saisir la mienne, me tirer en avant alors qu’une voix m’ordonne tendrement :

  • Ne traîne pas, donne-moi la main, il y a bien trop de monde, il ne manquerait plus que je te perde… Que dirait ta mère…

Je tourne les yeux vers cette main que je connais et dont j’aime sentir la caresse. Je suis du regard ce bras tendu enveloppé d’une légère étoffe qui flotte au vent pour arriver au visage de cette femme qui n’est autre que ma « mémé ». C’est ma « mémé » d’il y a 65 ans, celle-ci a encore ses cheveux noirs, le visage peu marqué par les années, elle est grande et alerte… Elle est la « mémé » de mon enfance. Je dois garder les yeux fermés ! Je ne veux pas perdre ce souvenir, je veux encore une fois ranimer mon passé, le revivre alors qu’il s’échappe doucement dans les méandres de l’oubli, les années passant.

Elle s’arrête devant l’étal du légumier qui arrive juste à la hauteur de mon nez retroussé. Je ne vois rien d’autre que les légumes, ils sont magnifiques, hauts en couleurs, riches en formes diverses. Je ne peux qu’admirer les hautes et brillantes pyramides vertes, rouges, jaunes, violettes qui s’élèvent vers le ciel. Leurs odeurs appétissantes s’engouffrent dans mon nez, envahissement mon intérieur et me mettent l’eau à la bouche. J’imagine déjà les plats succulents que « ma mémé » va cuisiner pour mon pépère avec qui je vais partager ces moments de purs plaisirs. Je me sens bousculée et me voilà maintenant les yeux au niveau des échafaudages des oignons, aulx et échalotes jouxtant les herbes aromatiques. Leurs odeurs plus agressives me font froncer le nez, reculer précipitamment et je me retrouve emportée malgré moi loin de ma rassurante accompagnatrice. Entourée par ces adultes pressés, indifférents à ma détresse, je subis cette marée humaine n’osant crier mon désarroi. Devant moi, je ne distingue rien, si ce n’est le dos de ces anonymes ; je ne peux me retourner et regarder derrière moi, j’avance et soudain je suis propulsée sur un étal extraordinaire qui comme le précédent m’arrive au niveau du regard. J’en ai de nouveau plein les yeux et le nez. En quinconce, de petits tas de poudres aux couleurs chaudes s’élèvent dans des plats creux qui s’alignent sur trois alignements serrés devant la vitrine de l’échoppe. Celle-ci renvoie la lumière du jour et m‘empêche de distinguer l’intérieur de la boutique d’où une musique orientale s’échappe. Devant ces trois rangées, des paniers de paille tressée m’offrent la vue d’une multitude d’herbes, de fleurs, de graines, de fruits, d’écorces aux parfums enivrants, fruités, poivrés et sucrés. Ces senteurs ne me sont pas inconnues, elles me rappellent les mets extraordinaires de ma « mémé ».

  • Mais où est-elle ? Je me convaincs qu’elle va bientôt me retrouver.

Tout ce méli-mélo de parfums me ramène à regarder de nouveau cet étal si captivant pour trois de mes sens : la vue, l’odorat et le goût que j’imagine trop bien. Au premier plan de ce déploiement d’odeurs, de couleurs et de saveurs j’aperçois de grands saladiers de terre cuite remplis de bonbons aux mille nuances et des petits gâteaux qui dégoulinent de sucre et de gras ; ils me sont interdits en raison de leur pouvoir grossissant, aux dires de ma maman. J’admire toutes ces bonnes choses imaginant les dégustant quand soudain une main s’agrippe à mon épaule et me secoue fermement :

  • Ouf ! Tu es là ! J’ai eu une de ces peurs ! Je t’avais dit de ne pas me lâcher la main…
  • Mais…
  • Bon ça va, puisque je t’ai retrouvée… assez rapidement, je n’ai pas vraiment eu peur. Ton penchant pour les sucreries t’a entraînée devant cet étal… Je suis soulagée. Tu veux quelque chose ? Ahmed donne nous deux ghriba aux amandes et à la cannelle, s’il te plait… Tu ne diras rien à ta mère… Hum ! Sens-moi ça, n’est-ce pas un délice ? Une saveur inoubliable !

La sensation du plaisir gustatif est si forte que je salive et déglutis. J’ouvre les yeux, souris à la vie qui m’a donné tant de chers souvenirs. Une douce nostalgie me gagne et m’emplit de bien-être d’avoir revécu cet épisode de mon passé.

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La consigne d'écriture:  "A chacun son régal, à chacun son étal": Le marché est un endroit que nous fréquentons souvent. Il y a avec ce lieu une manière de le vivre que l’on soit citadin ou rural. Mais tout comme nous avons nos boutiques préférées, nous avons  un étal qui nous parle davantage que les autres. Nous allons raconter ce qui nous rapproche du fromager, du crémier, du charcutier ou tout étal qui fait notre régal. A nous d’en faire tout un plat…

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N
Ce texte est une jolie page bien écrite de nostalgie heureuse. Les parfums de l'enfance sont uniques et indélébiles dans la mémoire. Joli moment de lecture. Merci.
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