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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Tétilla Episode 11

Tétilla Episode 11

 

Quand on est jeune, on pense qu’on a la vie devant soi et c’est vrai. Mais la vie passe vite.

C’est ce que se disait Alizée en ce mois de juin 2018. Perchée sur une branche du cerisier, elle cueillait de belles cerises rondes, juteuses à souhait qu’elle dégustait avec gourmandise.

De là où elle se tenait, elle avait une vue sur son jardin. Son paradis. Son rêve accompli.

Des années de travail avaient fait de ce bout de terre un « jardin remarquable » comme on les appelle aujourd’hui. Un endroit où des visiteurs passionnés de nature se pressent nonchalamment pour arpenter les allées révélatrices des beautés créées par des jardiniers  irréductibles. De ceux qui meurent dès qu’on leur enlève la binette des mains.

Alizée était de ceux là. Le travail était dur mais pour rien au monde elle ne s’en serait passée.

Elle avait voué sa vie à cette terre et pour elle, avait fait des sacrifices.

Avec le temps, la nostalgie arrivait sournoisement. Si elle était certaine d’avoir fait le bon choix de rester dans sa Brie natale, elle gardait au fond de son cœur le souvenir douloureux de Valentin.

Certes, elle avait rompu, mais il n’avait pas insisté et puis un jour, elle s’était mise à l’attendre.

Quelle folle elle avait été : jamais il ne reviendrait. Alors, elle s’était laissée aller à des rencontres plus ou moins longues ou brèves en fonction de son humeur et de la patience ou de la résistance de ses compagnons à supporter sa famille.

Si certains s’adaptèrent à son défaut majeur, d’autres partirent en courant et ma foi, bon débarras !

Et puis un jour, au marché, une puissante odeur était parvenue à ses narines. En levant la tête, elle découvrit le camion de Mozzarella, la fromagère. A ses côtés un bel homme, brun de peau et de cheveux s’activait pour servir des clientes pressées et piaillantes qui réclamaient son attention.

L’homme aimable et souriant s’activait tout en repoussant les plus téméraires.

Derrière son étalage de légumes, Alizée secoua la tête en contemplant le spectacle quand le jeune homme lui jeta son beau sourire et lui dit bonjour.

Une paix intérieure l’envahit qu’elle n’avait pas vécue depuis longtemps. Elle s’activa en ne cessant de regarder le fromager qui ne cessait de la regarder. Elle se souvenait de lui, Tétilla, petit garçon gentil et terrible à la fois qui ne se laissait pas marcher sur les pieds et puis un jour, il avait disparu et elle n’avait plus pensé à lui. Tétilla était de taille moyenne, le teint caramel et les yeux verts comme son espagnol de père qui n’avait été que de passage dans la vie de sa mère. Celle-ci racontait volontiers que c’était le plus cadeau qu’un homme lui avait fait.

A la fin du marché, alors qu’elle rechargeait ses cagettes dans la camionnette, elle se prit le pied dans un obstacle et s’étala de tout son long dans les salades. Elle se sentie soudain levée de terre par deux bras puissants et s’abandonna. Son sauveur  éternua. Elle aussi.

Autour d’eux, les chalands et les marchands pressaient  déjà un mouchoir sur leur nez dans l’attente de la terrible odeur qui les clouerait sur place.

Mais un parfum fruité se répandit dans l’air. Tétilla regardait Alizée avec les yeux de l’amour et elle en fit autant.

Quand elle rentra chez elle, elle enleva tous les portraits de Valentin qui trônaient un peu partout, les remisa dans une boite qu’elle plaça dans le grenier. Avant de la refermer définitivement, elle lui sourit une dernière fois, lui dit adieu pour se libérer du souvenir et décida de vivre avec Tétilla.

A leur rencontre, ils avaient quarante ans et s’attendaient depuis longtemps sans le savoir.

Tétilla sentait bon la vie, la nature et le fromage. Elle n’en demandait pas plus, d’autant que la terrible odeur qui émanait d’elle après chaque éternuement avait été remplacée par un beau parfum, sûrement celui de l’amour se dit-elle.

Vingt ans avaient passé et elle avait ainsi partagé sa vie : Tétilla, sa famille, son jardin et son souvenir enfoui au fond du grenier.

Elle avait nommé son jardin : « Le Jardin de l’Air du Temps », parce que dans l’univers, c’est le temps qui est le maître. Celui dont on parle chaque jour et puis aussi peut-être pour faire un clin d’œil à l’odeur si présente dans sa vie. Car l’air est rempli d’odeurs.

Ah les odeurs, se disait-elle en haussant les épaules. Pourquoi le commun des mortels ne fait-il pas usage de son odorat pour les déceler ? Plutôt que de s’indigner au moindre petit fumet, somme toute si naturel !

Que de sensations perdues et d’émotions refoulées ! Tenez, elle se souvient encore de l’odeur de Valentin. Que ne donnerait-elle pas aujourd’hui pour lui dire les frissons qu’elle ressentait, quand en fermant les yeux elle reniflait  la peau de son cou.

Alizée était descendue de son cerisier et vagabondait dans son jardin, suivie de ses chiens, de ses chats et des ses chèvres. Elle sourit en regardant une pie voler un coquillage d’ornement.

Soudain, elle éternua et … désormais, sans Tétilla rien ne se passait plus, et quand il était là, la senteur fruitée les unissait.

Elle soupira et se dirigea vers son chalet.

Pour  repousser la nostalgie qui pointait, elle se dit que toujours, elle avait eu raison.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

 

 

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R
le destin et l'inattendu provoquent une légère sensualité très appréciable.
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D
Beaucoup de nostalgie dans cet épisode... Des regrets mélancoliques, mais point trop Alizée est raisonnable. Beaucoup de douceur dans les mots... Un texte qui peut réveiller la même langueur et peut être des regrets chez le lecteur. En ce mois de novembre bien gris et glacé rien de mieux pour plonger dans une douce mélancolie.
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