22 Avril 2024
Les fêtes de fin d’année se sont déroulées comme celles des années précédentes pour les quatre sœurs Tardby. La maison et le jardin sont outrageusement décorés d’illuminations colorées et clignotantes : guirlandes et automates attirent le regard, l’admiration ou l’aversion de leurs concitoyens. Les repas pantagruéliques sont suivis de petites veillées au coin du feu à se remémorer des souvenirs gais ou mélancoliques, voire parfois affligeants. Pour le 24, après la messe de minuit et le 31 décembre, elles n’ont pas veillé plus que de coutume. Les repas trop arrosés les ont terrassées et elles ont eu beaucoup de mal à rejoindre leur lit. Le 25 décembre et le 1er janvier, jours de Noël et des étrennes, elles ont échangé leurs cadeaux, se sont embrassées, félicitées et promis plus de gentillesses. Elles ont même enrichi leurs bonnes résolutions pour la nouvelle année. Étrangement, elles se sont engagées à améliorer leurs apparences, leurs comportements vis-à-vis des autres et surtout, à ne plus énoncer d’indiscrétions ou de médisances.
Après ces quelques jours un peu spéciaux faits d’abus et de chambardements, la vie pour Charlotte, Amandine, Merveille et Madeleine reprend son rythme habituel. Le premier et troisième vendredi du mois, elles ont toujours au programme et ce depuis des années leur virée matinale à Bouillon le Chatel pour faire le plein de leurs garde-mangers. Depuis plus d’un an, tous les lundis et mercredis, en soirée, sauf ceux des vacances scolaires, elles se transforment en danseuses de ballet pour leurs séances de gymnastique avec leur professeure Claire Robois. Les autres jours de la semaine, grande nouveauté, elles s’initient à de nouveaux loisirs et s’inventent des obligations afin d’accroître leurs relations sociales. Pourquoi ce besoin de fréquentations ? Sociabilité ? Plaisir de découvrir les autres ou ne serait-ce pas pour écouter les cancans des uns et des autres ?
Mais alors, me direz-vous, qu’en est-il de leur dernière bonne résolution ? Je vous répondrai : « Chassez le naturel, il revient au galop ». N’oublions pas que nos quatre pies grièches adorent colporter des ragots en les épiçant de leur sauce potins et rosseries, « pour taquiner le quidam » qu’elles aiment préciser. Alors croyez-vous qu’elles sauront résister longtemps à ce plaisir ? L’Épiphanie n’est pas célébrée qu’elles oublient déjà cet engagement.
Suite à l’appel téléphonique de Léon et de Margot leur souhaitant la bonne année et après maintes discussions houleuses les quatre sœurs décident de les inviter à venir prendre le thé le dimanche de l’Épiphanie. Aussi étrange que cela puisse paraître Charlotte est à l’origine de cette idée, elle dit vouloir s’impliquer pour leur mariage et faire ainsi amende honorable. Elle promet de répondre positivement à toutes les requêtes des futurs mariés quitte à surprendre ses sœurs. Une Charlotte qui respecte sa promesse de s’amender ? Une Charlotte qui reste courtoise, bonne hôtesse et qui oublie ses rancunes passées, voilà de quoi étonner tout un chacun.
Le spacieux salon bleu, celui réservé aux invités de marque a subi leurs assauts ces deux derniers jours. Pas une poussière, la bonne odeur de l’encaustique, les napperons écrus sous les porcelaines Delft tout est là pour le plaisir des sens. Les deux candélabres aux cinq bougies rouges, restes de leurs décorations de Noël, trônent sur la table au milieu du service à thé en porcelaine et des gâteaux qu’elles ont cuisinés pour leurs invités. Elles n’adhérent nullement à la tradition de la galette des Rois et préfèrent offrir aux invités leurs « légendaires » pâtisseries. Léon et Margot sont introduits pompeusement au salon par Charlotte, puis les discussions vont bon train. On parle d’abord du futur mariage et comme on le craignait, nos quatre sœurs ne peuvent s’empêcher de médire sur Pierre, Paul et Jacques et surtout elles n’oublient pas d’égratigner la réputation du jeune Robois en jouant les personnes débonnaires, toutefois.
Meg, Jo, Beth et Amy les quatre chattes des sœurs Tardby, bannies habituellement de ce lieu, ne pensent qu’à s’amuser. Elles se coursent, sautent sur les coussins des fauteuils et sur les meubles qu’elles découvrent. Le salon bleu devient pour elles un nouveau terrain de jeux aussi elles profitent pleinement pour faire les 400 coups. Charlotte prépare l’assiette avec les choix de Margot et s’approche de la table basse pour l’y déposer.
Meg prise dans son jeu de course poursuite, se faufile entre les jambes de Charlotte, lui fait perdre l’équilibre au moment même où celle-ci passe au niveau de Margot. Merveille qui surveille son aînée comme le lait sur le feu, depuis le début de cette collation voit le film d’horreur se dérouler au ralenti. Sa Charlotte vacille et crie :
Puis tout s’enchaîne
Charlotte monte dans sa chambre accompagnée d’Amandine. Au salon, Léon fait de son mieux, il prépare les tasses de thé et les assiettes sans demander le choix des unes et des autres. Il met de tout, à tout le monde. Pas de chichi, à la bonne franquette il n’y a rien de plus vrai entre amis, pense-t-il en secouant sa tête aux cheveux argentés. Il imagine bien son amie Charlotte qui ne doit pas décolérer dans sa chambre.
Elle a toujours été ainsi sa Charlotte, sa meilleure amie. Une superbe amie qu’il avait cru un jour aimer. Elle avait trop vite renoncé à lui pour obéir à son père et lui était passé trop vite à autre chose. Leur amour était un amour fraternel, il n‘en doute plus.
Charlotte et Amandine reviennent une petite demi-heure plus tard. Elles trouvent les quatre autres installés confortablement autour de la table basse en train de déguster les excellentes pâtisseries en parlant du futur mariage de Margot et Léon. Le bruit de leurs pas alerte les convives, ils se retournent vers l’entrée du salon et tous sont ébahis par ce qu’ils découvrent. Charlotte et Amandine ont changé d’apparence. Finis les vêtements sombres et sans formes, finies les chaussures plates et grossières, finis les cheveux coiffés à la Princesse Leia ou tiré en chignon serré. Les voilà vêtues de robes aux couleurs vives, harmonieuses et élégantes, chaussées de fins escarpins à petits talons qui affinent leurs jambes et elles deux arborent un magnifique chignon coiffé, décoiffé à la mode de l’actuelle Brigitte Bardot.
Oh ! Elles ne ressemblent pas à cette idole des années 60,70 et même 80, mais elles ont un petit quelque chose qui ravit le regard.