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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Invitation au thé

Paysages jardins: Barbara Rosbe-Feliski.  Episode 1/9

Paysages jardins: Barbara Rosbe-Feliski. Episode 1/9

Les fêtes de fin d’année se sont déroulées comme celles des années précédentes pour les quatre sœurs Tardby. La maison et le jardin sont outrageusement décorés d’illuminations colorées et clignotantes : guirlandes et automates attirent le regard, l’admiration ou l’aversion de leurs concitoyens. Les repas pantagruéliques sont suivis de petites veillées au coin du feu à se remémorer des souvenirs gais ou mélancoliques, voire parfois affligeants. Pour le 24, après la messe de minuit et le 31 décembre, elles n’ont pas veillé plus que de coutume. Les repas trop arrosés les ont terrassées et elles ont eu beaucoup de mal à rejoindre leur lit. Le 25 décembre et le 1er janvier, jours de Noël et des étrennes, elles ont échangé leurs cadeaux, se sont embrassées, félicitées et promis plus de gentillesses. Elles ont même enrichi leurs bonnes résolutions pour la nouvelle année. Étrangement, elles se sont engagées à améliorer leurs apparences, leurs comportements vis-à-vis des autres et surtout, à ne plus énoncer d’indiscrétions ou de médisances.

Après ces quelques jours un peu spéciaux faits d’abus et de chambardements, la vie pour Charlotte, Amandine, Merveille et Madeleine reprend son rythme habituel. Le premier et troisième vendredi du mois, elles ont toujours au programme et ce depuis des années leur virée matinale à Bouillon le Chatel pour faire le plein de leurs garde-mangers. Depuis plus d’un an, tous les lundis et mercredis, en soirée, sauf ceux des vacances scolaires, elles se transforment en danseuses de ballet pour leurs séances de gymnastique avec leur professeure Claire Robois. Les autres jours de la semaine, grande nouveauté, elles s’initient à de nouveaux loisirs et s’inventent des obligations afin d’accroître leurs relations sociales. Pourquoi ce besoin de fréquentations ? Sociabilité ? Plaisir de découvrir les autres ou ne serait-ce pas pour écouter les cancans des uns et des autres ?

Mais alors, me direz-vous, qu’en est-il de leur dernière bonne résolution ? Je vous répondrai : « Chassez le naturel, il revient au galop ». N’oublions pas que nos quatre pies grièches adorent colporter des ragots en les épiçant de leur sauce potins et rosseries, « pour taquiner le quidam » qu’elles aiment préciser. Alors croyez-vous qu’elles sauront résister longtemps à ce plaisir ? L’Épiphanie n’est pas célébrée qu’elles oublient déjà cet engagement.

Suite à l’appel téléphonique de Léon et de Margot leur souhaitant la bonne année et après maintes discussions houleuses les quatre sœurs décident de les inviter à venir prendre le thé le dimanche de l’Épiphanie. Aussi étrange que cela puisse paraître Charlotte est à l’origine de cette idée, elle dit vouloir s’impliquer pour leur mariage et faire ainsi amende honorable. Elle promet de répondre positivement à toutes les requêtes des futurs mariés quitte à surprendre ses sœurs. Une Charlotte qui respecte sa promesse de s’amender ?  Une Charlotte qui reste courtoise, bonne hôtesse et qui oublie ses rancunes passées, voilà de quoi étonner tout un chacun.

  • « Par la fée Morgane ensorcelée, j’y crois pas ! A quel jeu joue notre Charlotte ? se dit Merveille qui ne reconnait plus son aînée. Que nous prépare-t-elle ? Je n’ose croire à cette mansuétude et pourtant. »
  • « Je suis heureuse de voir ma Charlotte si détendue, généreuse et soucieuse de complaire à ces deux-là. » note Madeleine qui s’inquiète cependant un peu connaissant le machiavélisme de sa grande sœur.
  • Elle me semble paisible, radieuse même de cette situation, étrange, pense Amandine. Restons sur nos gardes.

Le spacieux salon bleu, celui réservé aux invités de marque a subi leurs assauts ces deux derniers jours. Pas une poussière, la bonne odeur de l’encaustique, les napperons écrus sous les porcelaines Delft tout est là pour le plaisir des sens. Les deux candélabres aux cinq bougies rouges, restes de leurs décorations de Noël, trônent sur la table au milieu du service à thé en porcelaine et des gâteaux qu’elles ont cuisinés pour leurs invités. Elles n’adhérent nullement à la tradition de la galette des Rois et préfèrent offrir aux invités leurs « légendaires » pâtisseries. Léon et Margot sont introduits pompeusement au salon par Charlotte, puis les discussions vont bon train. On parle d’abord du futur mariage et comme on le craignait, nos quatre sœurs ne peuvent s’empêcher de médire sur Pierre, Paul et Jacques et surtout elles n’oublient pas d’égratigner la réputation du jeune Robois en jouant les personnes débonnaires, toutefois.

  • Cela doit être tout de même très dur pour notre Claire de devoir gérer toute cette histoire, le jeune Thibault à peine sorti de l’adolescence et cette gamine Marie Hélène…dit Amandine d’une voix se voulant compatissante.
  • Nous avions bien vu qu’il y avait anguille sous roche, mais de là à lui faire un bébé, intervient Charlotte fielleusement.
  • Nous avons appris que le Thibault tout en poursuivant ses études, a un travail. « Youtubeur » qu’il se dit… « Influenceur »… Et ça rapporte beaucoup paraît-il… Drôle de métier, faire des vidéos, s’amuser avec internet et se faire payer… Apparemment, il est débrouillard ce môme, affirme Madeleine.
  • Sap… Nom d’une gargouille engrossée, être papa a vingt ans tout de même ! Être grand-mère à 42 ans, notre Claire va en prendre un sacré coup, ironise Merveille.
  • Si vous voulez bien, intervient Charlotte en se levant de son fauteuil, je vais servir le thé et vous préparer une assiette avec quelques-unes de nos pâtisseries. Vous m’en direz des nouvelles, Margot… Ne bougez pas mes sœurs, cela me fait très plaisir de faire le service… A vous la première ma Chère Margot, que souhaitez-vous goûter ? Nous avons de la charlotte aux poires et au chocolat, une amandine à la pomme, des merveilles et des madeleines avec de la crème pâtissière. Tenez, prenez déjà votre thé, vous pouvez le poser sur la table basse, là, juste devant vous, suggère-t-elle doucereuse
  • Je goûterai bien à votre charlotte, ma chère, répond gentiment Margot je suis sûre que c’est votre œuvre. Je connais vos talents et les redoute lors des concours. Je me doute qu’elle est excellente. Et pourquoi pas, une ou deux madeleines avec un peu de crème pâtissière, également.  Oh ! là là ! Que je suis gourmande… N’est-ce pas mon cher Léon. Je prendrai plus tard un peu de vos spécialités mesdames ajoute-t-elle en se retournant vers Amandine et Merveille.
  • Meg, Jo, Beth, Amy éloignez-vous de la table, ordonne Amandine. Les coquines les voilà au salon… Cette pièce leur est interdite...
  • Oh ! Les fifilles, qu’elles sont belles ! Vous avez quatre chattes magnifiques là. Ce sont celles que vous avez trouvées au cimetière et que vous avez adoptées ? Quelles belles personnes vous êtes... Comment les avez-vous appelées ? Nous adorons les chats Léon et moi, nous en avons deux, de vrais fripons, un peu comme les vôtres.

Meg, Jo, Beth et Amy les quatre chattes des sœurs Tardby, bannies habituellement de ce lieu, ne pensent qu’à s’amuser. Elles se coursent, sautent sur les coussins des fauteuils et sur les meubles qu’elles découvrent. Le salon bleu devient pour elles un nouveau terrain de jeux aussi elles profitent pleinement pour faire les 400 coups. Charlotte prépare l’assiette avec les choix de Margot et s’approche de la table basse pour l’y déposer.

Meg prise dans son jeu de course poursuite, se faufile entre les jambes de Charlotte, lui fait perdre l’équilibre au moment même où celle-ci passe au niveau de Margot. Merveille qui surveille son aînée comme le lait sur le feu, depuis le début de cette collation voit le film d’horreur se dérouler au ralenti. Sa Charlotte vacille et crie :

  • Oh ! Mon Dieu ! Meg, que fais-tu… tu vas me faire tomber...

Puis tout s’enchaîne

  • Oh ! Attention Charlotte, Meg est dans tes jambes… s’écrie Amandine
  • Ah ! Quel malheur, ma pauvre Margot se navre Madeleine déjà catastrophée.
  • Par la barbe de Merlin entartré on croirait que tu l’as fait exprès Meg s’exclame Merveille avant de continuer à mi-voix… Notre Charlotte aurait-elle des dons de dressage félin ?
  • Ouf ! J’ai échappé à quelque chose, je crois, plaisante Margot en se levant précipitamment par réflexe et en bousculant Charlotte qui renverse l’assiette de pâtisserie sur sa robe noire au col Claudine ivoire.
  • Et de deux ! s’esclaffe Merveille pensant à l’incident des profiteroles et de la crème au chocolat survenu au « Mystère gourmand » l’année précédente. Même victime, même scénario.  Oh ! Pardon Charlotte, je ne voulais pas…
  • Désolée ma pauvre Charlotte, je suis vraiment navrée d’avoir renversé sur vous l’assiette que vous m’aviez si gentiment préparée, se désole Margot.
  • Ma pauvre Charlotte, encore une fois te voilà baptisée… gémit Madeleine
  • Ah ! Ah ! Ah ! rigole à pleine gorge le Léon, vous ne changerez jamais, ma chère Charlotte, il vous arrive toujours des catastrophes. Vous avez toujours été mon amie, vous l’êtes encore, bien que des fois j’aimerais vous secouer comme au bon vieux temps. J’ai dû plus d’une fois vous aider pour vous sortir d’un mauvais pas. On ne s’ennuie jamais avec vous, Charlotte. Allez, mon amie, allez-vous changer, je vais faire le service, ne vous inquiétez pas… Un médecin, même à la retraite, c’est doué de ses doigts, ajoute-t-il en lui faisant un clin d’œil.

Charlotte monte dans sa chambre accompagnée d’Amandine. Au salon, Léon fait de son mieux, il prépare les tasses de thé et les assiettes sans demander le choix des unes et des autres. Il met de tout, à tout le monde. Pas de chichi, à la bonne franquette il n’y a rien de plus vrai entre amis, pense-t-il en secouant sa tête aux cheveux argentés. Il imagine bien son amie Charlotte qui ne doit pas décolérer dans sa chambre.

Elle a toujours été ainsi sa Charlotte, sa meilleure amie. Une superbe amie qu’il avait cru un jour aimer. Elle avait trop vite renoncé à lui pour obéir à son père et lui était passé trop vite à autre chose. Leur amour était un amour fraternel, il n‘en doute plus.

Charlotte et Amandine reviennent une petite demi-heure plus tard. Elles trouvent les quatre autres installés confortablement autour de la table basse en train de déguster les excellentes pâtisseries en parlant du futur mariage de Margot et Léon. Le bruit de leurs pas alerte les convives, ils se retournent vers l’entrée du salon et tous sont ébahis par ce qu’ils découvrent. Charlotte et Amandine ont changé d’apparence. Finis les vêtements sombres et sans formes, finies les chaussures plates et grossières, finis les cheveux coiffés à la Princesse Leia ou tiré en chignon serré. Les voilà vêtues de robes aux couleurs vives, harmonieuses et élégantes, chaussées de fins escarpins à petits talons qui affinent leurs jambes et elles deux arborent un magnifique chignon coiffé, décoiffé à la mode de l’actuelle Brigitte Bardot.

Oh ! Elles ne ressemblent pas à cette idole des années 60,70 et même 80, mais elles ont un petit quelque chose qui ravit le regard.

  • Surprise !!! S’écrient-elles d’une même voix.
  • Oh ! répondent deux voix médusées par le spectacle.
  • Vous l’avez-fait ! Super ! S’exclame Madeleine.
  • Saperlipopette ! Charlotte, Amandine ! Vous êtes magnifiques, s’écrie Merveille, nous parlions du mariage et de la présence de Tac et Tic...
  • Ah ! Ces deux-là... On les croise de plus en plus souvent... Je ne pense pas que ce soit fortuit... Quoiqu’ils en disent, râle Charlotte.
  • Ce sont nos cavaliers pour le mariage, alors c’est normal... Répond Madeleine.
  • Madeleine ! Viens avec moi et allons nous mettre toutes les deux au diapason de nos deux aînées… Excusez-nous Margot, Léon, on vous laisse avec Charlotte et Amandine, elles vous expliqueront tout et vous pourrez les mettre au parfum pour l’organisation du mariage. Les deux benjamines s’échappent à leur tour, alors que Charlotte et Amandine reçoivent les félicitations des invités pour leur nouveau « look ».

 

 

 

 

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