12 Juin 2023
Une étrange sensation de lourdeur saisit Artémis à son réveil. Elle se retrouve allongée sur un sol recouvert d’une jonchée de plantes hautement odorantes. Elle aperçoit le corps de sa jeune sœur endormie à quelques coudées. Elle se redresse, s’assoit sur son séant et se penche vers Simétra pour la réveiller. Elle sursaute quand elle entend derrière elle une rumeur menaçante et qu’elle sent dans ses côtes une pointe acérée qui la pique sans ménagement. Son cri de douleur réveille la cadette.
Les deux jouvencelles sont entourées par trois femmes et deux hommes de grande taille, aux jambes et bras dénudés. Leurs membres sont déliés, musclés et leurs attaches puissantes. Tous les cinq portent une simple tunique plissée blanche serrée à la taille, très courte qui ne cache pas grand-chose de leur corps. Pour les femmes cette tenue met leurs avantages féminins en évidence ; leur poitrine n’est ni soutenue, ni vraiment cachée par le tissu. Pour tous, leur chevelure longue et plutôt foncée est ramenée sur le haut de leur crâne, maintenue par des lacets de cuir, puis laissée en cascade mousseuse retomber dans leur cou et sur leurs épaules. Ils sont chaussés de sandales de cuir avec des liens montants se croisant sur les mollets jusqu’aux genoux. Tous les cinq portent à leur taille une épée à large lame et dans leur main une lance très dissuasive. Celles-ci viennent chatouiller régulièrement les flancs des deux sœurs. Artémis et Simétra obtempèrent sous la menace, elles se lèvent et les suivent tout en regardant autour d’elles. Elles sont dans une salle spacieuse, décorée avec d’immenses tapisseries suspendues aux murs de pierres.
Les meubles en bois qui s’y trouvent sont simples et très massifs. A chaque coin de la pièce, des flambeaux sont fixés aux parois pour éclairer l’ensemble. Sous la poussée des pointes, les jouvencelles franchissent une porte cachée derrière une de ces draperies. Elles débouchent dans une vaste grotte où un bruit effroyable se fait entendre. Elles découvrent sur le côté de celle-ci un passage étroit qui serpente derrière une chute d’eau ce qui explique ce raffut. Ce chemin détrempé et glissant les amène à l’extérieur après avoir franchi un rideau végétal qui en cache l’accès. Sur leur droite une même cascade dégringole d’une paroi abrupte avant de s’échouer dans un vaste bassin et prendre l’allure d’un torrent qui se précipite entre les rochers pour disparaitre au loin.
Le groupe avance rapidement dans une forêt épaisse, passe au-dessus d’un pont fait en lianes et planches, qui enjambe ce torrent devenu plus calme. Ils suivent un sentier tortueux au pied d’une colline au flanc abrupt et dont le sommet laisse échapper une fumerolle. Le chemin sillonne ensuite au travers de bosquets denses et épineux rendant le cheminement difficile. Enfin la petite troupe arrive à un village fait d’une trentaine de maisons en torchis. Elles leur rappellent un peu celles de leur bourgade. Leur toit de chaume est très pentu et descend fort bas comme pour cacher leurs murs sans fenêtre, où seule une ouverture donne accès à l’intérieur. Des femmes, des hommes et des enfants en sortent et avancent vers les intruses toujours menacées par les lances. Les deux sœurs notent que ces derniers portent des vêtements qu’elles jugent plus convenables : leurs jambes et bras sont couverts. Au milieu de la place centrale du bourg, leurs cinq gardiens les font s’assoir à même le sol et leur font comprendre qu’elles ne doivent plus bouger. Parmi ces derniers une femme se distingue, elle semble être leur chef, tant son allure est autoritaire et fière.
Elle leur arrache les besaces et ordonne :
D’une bâtisse plus imposante que les autres des voix se font entendre, aussi tous se retournent et regardent dans cette direction. Les deux sœurs voient apparaître un petit groupe d’une dizaine de personnes d’âge mûr qui s’avancent au rythme lent d’une femme qui semble être leur aînée. Cette dernière s’arrête à quelques pas des captives. Un lourd silence s’installe ; Artémis et Simétra se sentent jauger par celle-ci.
Artémis et Simétra ne répondent pas tant elles sont surprises qu’une fois encore elles aient été précédées par les deux femmes lors d’un de leurs voyages dans le temps et l’espace. Elles hésitent à leur expliquer le pourquoi, le comment et d’où elles viennent.
C’est une très vieille femme qui avait dû être d’une très grande beauté dans sa jeunesse. Maintenant, elle est pliée en deux, soutenue par une canne tenue par une main qui ressemble à une serre d’aigle. Ses cheveux blancs sont coiffés en un chignon serré sur la nuque. Elle est ridée comme une vieille pomme oubliée. Elle porte une longue tunique cachant des jambes qui ont du mal à la soutenir. Elle est si menue qu’elle donne l’impression de pouvoir se briser au moindre souffle. La matriarche a deux grands yeux vides d’expression, un épais voile bleuté noie son regard.
La Grande Flavia s’assoit sur un tabouret rembourré qu’on lui a apporté ; Mona s’installe à ses pieds, face aux deux étrangères. Toutes les quatre sont surveillées de loin par les cinq gardes qui les ont amenées au village, tous les autres se sont éloignés et semblent avoir repris leurs activités.
Artémis et Simétra leur racontent alors leur vie avec leur mère Erina et La Grande Berthilde ; elles leur avouent que toutes ces histoires fantastiques qu’elles leur racontaient étaient pour elles des contes et que cela n’avait fait qu’aiguiser leurs envies d’aventures. Elles avaient entrepris leurs escapades sans le vouloir en désobéissant à leurs ordres. Simétra affirme même que contrairement à Artémis elle est fortement marrie de leurs aventures. Aucune des deux ne comprend comment Erina et Berthilde s’absentent quelques heures alors qu’elles vivent des évènements ailleurs pendant plusieurs jours. Le temps ne semble pas s’écouler au même rythme dans leur village et dans les lieux qu’elles découvrent lors de leurs voyages. Flavia ne semble pas surprise par leurs dires, mais la jeune Mona bout d’impatience, doute de leurs paroles et les interrompt souvent.
Une nouvelle colonie était née ; mais elle était et est tellement insignifiante pour les royaumes qui l’entourent, qu’elle a pu se développer et perdurer. Les premiers colons, dont ma mère faisait partie ont formé cette communauté assez particulière car voyez-vous chez nous et depuis, ce sont les femmes qui dirigent le pays… »
Ces premiers colons, à majorité des femmes, ont construit deux villages : un près de la mer dans une magnifique crique pour échanger avec d’éventuels commerçants venus par la mer et celui-ci, à l’intérieur des terres, ignoré de tous les étrangers. Ils ont travaillé la terre, ouvert des négoces et les femmes ont décidé de se débarrasser du joug masculin. Dans notre société, nous avons bien quelques hommes avec nous mais ils n’ont aucun rôle décisionnaire seulement consultatif. Il me semble d’ailleurs qu’ils ne sont pas mécontents de leur sort. Trois générations ont vu le jour sur cette île mais des problèmes de consanguinité ont apparu, c’est pourquoi nous envisageons d’accepter quelques étrangers pour combattre ce mal qui affaiblit fortement notre peuple… »
Va maintenant Mona ; amène-les à ta mère Annaëlla et informe-la de ma décision… Rappelle-lui qu’elle doit venir au Conseil des Dix ; il faut qu’on parle du Grand Theos, je n’aime pas du tout cette fumerolle qui sort de ses entrailles. Je sens quelques frémissements sous mes pieds, ça ne présage rien de bon pour les jours à venir.
Les deux sœurs sont mises debout et amenées à Annaëlla qui les attend. Mona discute avec sa mère à voix basse, apparemment la décision de la Grande Flavia ne remporte pas un réel succès.
Mona revient vers elles et leur demande de la suivre ; elles prennent le chemin de la maison où elles avaient vu la jeune fille entrer pour ranger leurs besaces. Celles-ci sont sur la table et sans laisser à Mona le temps de leur interdire de les reprendre, Artémis et Simétra se saisissent de celles-ci et les passent autour de leur cou.
Soudain un bruit infernal semblant venir des profondeurs de la terre se fait entendre ainsi que des craquements sinistres de bois et des hurlements de terreur. Des mouvements alarmants du sol font bouger les murs de la maison et projettent parterre les trois jeunes femmes.
Artémis et Simétra entrevoient une opportunité à saisir, elles décident de s’échapper au plus vite vers la forêt pour retrouver le chemin qui les mènera au lieu de leur réveil.
Dans le village règne une réelle panique ; femmes, enfants et hommes lourdement chargés sortent des maisons et se précipitent sur un sentier à l’opposé du leur. Certainement qu’ils envisagent de rejoindre le port et de s’éloigner de l’île en bateau pour attendre que le volcan se calme. Elles ne rencontrent aucune opposition de ces gens qui ne pensent qu’à sauver leurs petites richesses et surtout leur vie.
Après avoir traversé les bosquets épineux, pris le sentier au flanc de la montagne qui commence à déverser une rivière rougeoyante brûlant tout sur son passage, elles traversent le pont de bois et de lianes qui se balance au-dessus du torrent. Enfin elles arrivent exténuées à la chute d’eau, passent derrière celle-ci et se précipitent dans la salle aux flambeaux. Elles cherchent fébrilement des signes gravés sur les murs. Rien !
Elles ne veulent pas perdre de temps, le sol oscille dans tous les sens. Aussi elles décident d’avoir recours au médaillon avec le scarabée.
Elles aperçoivent Mona se diriger vers elles tenant à la main le fameux médaillon.
Huung-wa-ké- yé-ka-haaang “ commence Artémis.
Mais, rien ne se passe, pas de brouillard, pas de déflagration.
Le brouillard épais sentant la myrrhe et la fleur d’oranger apparaît, s’épaissit et les enveloppe toutes les trois. Elles chancellent et se pâment quand la déflagration suivie de l’éblouissement intense les secoue.