Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Au Pays du grand Théos

Episode 6

Episode 6

Une étrange sensation de lourdeur saisit Artémis à son réveil. Elle se retrouve allongée sur un sol recouvert d’une jonchée de plantes hautement odorantes. Elle aperçoit le corps de sa jeune sœur endormie à quelques coudées.  Elle se redresse, s’assoit sur son séant et se penche vers Simétra pour la réveiller.  Elle sursaute quand elle entend derrière elle une rumeur menaçante et qu’elle sent dans ses côtes une pointe acérée qui la pique sans ménagement. Son cri de douleur réveille la cadette.

Les deux jouvencelles sont entourées par trois femmes et deux hommes de grande taille, aux jambes et bras dénudés. Leurs membres sont déliés, musclés et leurs attaches puissantes. Tous les cinq portent une simple tunique plissée blanche serrée à la taille, très courte qui ne cache pas grand-chose de leur corps. Pour les femmes cette tenue met leurs avantages féminins en évidence ; leur poitrine n’est ni soutenue, ni vraiment cachée par le tissu. Pour tous, leur chevelure longue et plutôt foncée est ramenée sur le haut de leur crâne, maintenue par des lacets de cuir, puis laissée en cascade mousseuse retomber dans leur cou et sur leurs épaules. Ils sont chaussés de sandales de cuir avec des liens montants se croisant sur les mollets jusqu’aux genoux. Tous les cinq portent à leur taille une épée à large lame et dans leur main une lance très dissuasive. Celles-ci viennent chatouiller régulièrement les flancs des deux sœurs. Artémis et Simétra obtempèrent sous la menace, elles se lèvent et les suivent tout en regardant autour d’elles. Elles sont dans une salle spacieuse, décorée avec d’immenses tapisseries suspendues aux murs de pierres.

 Les meubles en bois qui s’y trouvent sont simples et très massifs. A chaque coin de la pièce, des flambeaux sont fixés aux parois pour éclairer l’ensemble. Sous la poussée des pointes, les jouvencelles franchissent une porte cachée derrière une de ces draperies. Elles débouchent dans une vaste grotte où un bruit effroyable se fait entendre. Elles découvrent sur le côté de celle-ci un passage étroit qui serpente derrière une chute d’eau ce qui explique ce raffut. Ce chemin détrempé et glissant les amène à l’extérieur après avoir franchi un rideau végétal qui en cache l’accès. Sur leur droite une même cascade dégringole d’une paroi abrupte avant de s’échouer dans un vaste bassin et prendre l’allure d’un torrent qui se précipite entre les rochers pour disparaitre au loin.

Le groupe avance rapidement dans une forêt épaisse, passe au-dessus d’un pont fait en lianes et planches, qui enjambe ce torrent devenu plus calme. Ils suivent un sentier tortueux au pied d’une colline au flanc abrupt et dont le sommet laisse échapper une fumerolle. Le chemin sillonne ensuite au travers de bosquets denses et épineux rendant le cheminement difficile. Enfin la petite troupe arrive à un village fait d’une trentaine de maisons en torchis. Elles leur rappellent un peu celles de leur bourgade. Leur toit de chaume est très pentu et descend fort bas comme pour cacher leurs murs sans fenêtre, où seule une ouverture donne accès à l’intérieur. Des femmes, des hommes et des enfants en sortent et avancent vers les intruses toujours menacées par les lances. Les deux sœurs notent que ces derniers portent des vêtements qu’elles jugent plus convenables : leurs jambes et bras sont couverts. Au milieu de la place centrale du bourg, leurs cinq gardiens les font s’assoir à même le sol et leur font comprendre qu’elles ne doivent plus bouger. Parmi ces derniers une femme se distingue, elle semble être leur chef, tant son allure est autoritaire et fière.

Elle leur arrache les besaces et ordonne :

  • « Prends ça et va les mettre à la maison, Mona… » dit-elle en les tendant à une jeune femme tout juste sortie de l’adolescence qui se précipite vers elle ; c’est le parfait sosie de la femme, mais en plus jeune.
  • « Oui Mère répond celle-ci. Mais puis-je revenir ? J’aimerais… »

D’une bâtisse plus imposante que les autres des voix se font entendre, aussi tous se retournent et regardent dans cette direction. Les deux sœurs voient apparaître un petit groupe d’une dizaine de personnes d’âge mûr qui s’avancent au rythme lent d’une femme qui semble être leur aînée. Cette dernière s’arrête à quelques pas des captives. Un lourd silence s’installe ; Artémis et Simétra se sentent jauger par celle-ci.

  • « Vous n’êtes pas Berthilde, ni Erina la Guérisseuse, bien que vous la rousse vous lui ressemblez fortement… Qui êtes-vous ? » interroge celle qui leur a pris les besaces, en les piquant aux cuisses de la pointe de sa lance.

Artémis et Simétra ne répondent pas tant elles sont surprises qu’une fois encore elles aient été précédées par les deux femmes lors d’un de leurs voyages dans le temps et l’espace. Elles hésitent à leur expliquer le pourquoi, le comment et d’où elles viennent.

  • « Attends Annaëlla, ne les bouscule pas. Tu les terrorises avec ta lance…» Intervient alors la plus âgée.

 C’est une très vieille femme qui avait dû être d’une très grande beauté dans sa jeunesse. Maintenant, elle est pliée en deux, soutenue par une canne tenue par une main qui ressemble à une serre d’aigle. Ses cheveux blancs sont coiffés en un chignon serré sur la nuque. Elle est ridée comme une vieille pomme oubliée. Elle porte une longue tunique cachant des jambes qui ont du mal à la soutenir. Elle est si menue qu’elle donne l’impression de pouvoir se briser au moindre souffle. La matriarche a deux grands yeux vides d’expression, un épais voile bleuté noie son regard.

  • « Laissez-moi avec elles. » reprend-elle, puis élevant la voix elle ordonne :
  • « Viens avec moi Mona, ta jeune mémoire m’est utile, nous les questionnerons … »
  • « Ce n’est pas prudent, elles peuvent vous blesser Grande Flavia, nous devons vous protéger… » intervient celle qui se nomme Annaëlla,
  • « Je n’ai nullement besoin de protection, que peuvent-elles faire ? Elles ne sont pas bêtes au point de tenter quelque chose qui les mettrait en péril. Écartez-vous ! Annaëlla, ma fille montre l’exemple en m’obéissant sans remettre mon autorité en cause. » Commande la vieille dame.
  • « Bien Mère, je vous obéis Grande Flavia répond-elle en baissant la tête et reculant de quelques pas en signe de soumission. Mona va avec ta grand-mère ; sois sur tes gardes ! »

La Grande Flavia s’assoit sur un tabouret rembourré qu’on lui a apporté ; Mona s’installe à ses pieds, face aux deux étrangères. Toutes les quatre sont surveillées de loin par les cinq gardes qui les ont amenées au village, tous les autres se sont éloignés et semblent avoir repris leurs activités.

  • « Racontez-moi qui vous êtes. » leur demande-t-elle d’une voix douce mais persuasive.
  • « Nous raconterez-vous après qui vous êtes aussi et ce que vous comptez faire de nous ? » intervient Artémis. « Point de mal, nous ne vous souhaitons… Nous ne demandons qu’à repartir d’ici. »
  • « Oh ! ça ! Rien n’est moins sûr que nous vous laissions repartir… Le conseil des Dix ne serait pas d’accord. La Grande Berthilde et Erina nous ont faussé compagnie une fois, alors… Nous avons trop besoin de vous deux. » répond La Grande Flavia.
  • « Vous avez besoin de nous ? Pourquoi ? » s’inquiète Simétra,
  • « Vous avez certainement des connaissances qui nous seront utiles comme vos deux devancières et le sang neuf que vous apportez ne serait que bénéfique pour notre population. » explique l’aïeule.
  • « Corne de bouc, que nous racontez-vous là ? » s’écrie Artémis qui s’emporte.
  • « Allons du calme, la rouquine… Narrez-nous votre histoire et nous verrons plus tard pour ce qui est de votre départ. » temporise Mona.

Artémis et Simétra leur racontent alors leur vie avec leur mère Erina et La Grande Berthilde ; elles leur avouent que toutes ces histoires fantastiques qu’elles leur racontaient étaient pour elles des contes et que cela n’avait fait qu’aiguiser leurs envies d’aventures.  Elles avaient entrepris leurs escapades sans le vouloir en désobéissant à leurs ordres. Simétra affirme même que contrairement à Artémis elle est fortement marrie de leurs aventures. Aucune des deux ne comprend comment Erina et Berthilde s’absentent quelques heures alors qu’elles vivent des évènements ailleurs pendant plusieurs jours. Le temps ne semble pas s’écouler au même rythme dans leur village et dans les lieux qu’elles découvrent lors de leurs voyages. Flavia ne semble pas surprise par leurs dires, mais la jeune Mona bout d’impatience, doute de leurs paroles et les interrompt souvent.

  • « D’après ce que vous nous dites, vous ne saviez pas que vos parentes étaient déjà venues ici et qu’elles étaient restées plusieurs jours avec nous ? » demande La Grande Flavia.
  • « Elles nous avaient bien raconté une histoire où dans un pays lointain, il y a bien longtemps où les femmes étaient les égales des hommes et qu’il y faisait bon vivre… Elles appelaient ces femmes des Amazones. Mais nous avions pris cela pour une légende… Comme la plupart de leurs narrations d’ailleurs. Cela nous paraissait tellement fol dingo. » révèle Artémis.
  • « C’est la vérité ! Nous ne mentons pas, nous n’exagérons pas. A vous de nous dire où nous sommes et qui vous êtes ? » demande Simétra en se tournant vers La Grande Flavia.
  • « C’est une longue histoire, je vais essayer d’être brève. Il y a sept décennies, au pays de Dödekos, un certain nombre de femmes ont été jugées mauvaises et leur vie tourmentée trop impure, aussi furent-elles bannies. Elles purent néanmoins affréter et embarquer sur un lourd bateau marchand avec leurs proches désireux de les accompagner pour un exil sur l’île de Dödekànésa alors déserte.

Une nouvelle colonie était née ; mais elle était et est tellement insignifiante pour les royaumes qui l’entourent, qu’elle a pu se développer et perdurer. Les premiers colons, dont ma mère faisait partie ont formé cette communauté assez particulière car voyez-vous chez nous et depuis, ce sont les femmes qui dirigent le pays… »

  • « Quelle hérésie, des femmes pour gouverner ? Comment est-ce possible ? Ne doivent-elles pas être soumises aux hommes, vous nous racontez des balivernes… » s’exclame Artémis.
  • « Je crois en vos dires, même si ceux-ci nous paraissent forts suspects, alors faites de même… » rétorque la doyenne. Laissez-moi terminer notre histoire. 

Ces premiers colons, à majorité des femmes, ont construit deux villages : un près de la mer dans une magnifique crique pour échanger avec d’éventuels commerçants venus par la mer et celui-ci, à l’intérieur des terres, ignoré de tous les étrangers. Ils ont travaillé la terre, ouvert des négoces et les femmes ont décidé de se débarrasser du joug masculin. Dans notre société, nous avons bien quelques hommes avec nous mais ils n’ont aucun rôle décisionnaire seulement consultatif. Il me semble d’ailleurs qu’ils ne sont pas mécontents de leur sort. Trois générations ont vu le jour sur cette île mais des problèmes de consanguinité ont apparu, c’est pourquoi nous envisageons d’accepter quelques étrangers pour combattre ce mal qui affaiblit fortement notre peuple… »

  • « Vous ne pensez tout de même pas nous retenir ici et nous obliger à enfanter… »  S’insurge Artémis révoltée par ce projet.
  • « Je suis fatiguée de vos jérémiades Artémis, votre impétueux caractère me rappelle bien celui de votre mère. Mais cette fois-ci nous ne relâcherons pas notre surveillance ; vous êtes ici pour un bon moment. » tranche La Grande Flavia qui se tourne vers Mona pour lui dire d’un ton ferme :
  • « Mona, méfie-toi de ces femmes, ne te fie pas à leurs sourires et bonnes paroles. Ne les quitte jamais des yeux… Attache-les, demande de l’aide, s’il le faut, mais elles ne doivent pas s’échapper. Maintenant je suis fatiguée, Mona, il faut que j’aille encore voir le conseil des Dix et que je leur fasse part de ma décision. Et vous jeunes femmes, je vais vous demander de suivre gentiment Mona, elle va vous accompagner à sa demeure qui deviendra la vôtre pour le moment.  Vous pourrez aller et venir sur l’île mais vous serez sous haute surveillance et nous saurons vous empêcher de vous évader comme Erina et Berthilde l’ont fait.

Va maintenant Mona ; amène-les à ta mère Annaëlla et informe-la de ma décision… Rappelle-lui qu’elle doit venir au Conseil des Dix ; il faut qu’on parle du Grand Theos, je n’aime pas du tout cette fumerolle qui sort de ses entrailles. Je sens quelques frémissements sous mes pieds, ça ne présage rien de bon pour les jours à venir.

Les deux sœurs sont mises debout et amenées à Annaëlla qui les attend. Mona discute avec sa mère à voix basse, apparemment la décision de la Grande Flavia ne remporte pas un réel succès.

  • « Théos ? C’est qui ? C’est quoi ? » demande Simétra
  • « Je crois qu’elle parlait de la montagne, celle qui fume… » répond Artémis.

Mona revient vers elles et leur demande de la suivre ; elles prennent le chemin de la maison où elles avaient vu la jeune fille entrer pour ranger leurs besaces. Celles-ci sont sur la table et sans laisser à Mona le temps de leur interdire de les reprendre, Artémis et Simétra se saisissent de celles-ci et les passent autour de leur cou.

Soudain un bruit infernal semblant venir des profondeurs de la terre se fait entendre ainsi que des craquements sinistres de bois et des hurlements de terreur. Des mouvements alarmants du sol font bouger les murs de la maison et projettent parterre les trois jeunes femmes.

  • « Théos se fâche, il faut que j’aille voir ma mère, venez avec moi » ordonne Mona qui dans son désarroi ne surveille plus vraiment les deux jeunes femmes et sort précipitamment de la maison.

Artémis et Simétra entrevoient une opportunité à saisir, elles décident de s’échapper au plus vite vers la forêt pour retrouver le chemin qui les mènera au lieu de leur réveil.

Dans le village règne une réelle panique ; femmes, enfants et hommes lourdement chargés sortent des maisons et se précipitent sur un sentier à l’opposé du leur.  Certainement qu’ils envisagent de rejoindre le port et de s’éloigner de l’île en bateau pour attendre que le volcan se calme. Elles ne rencontrent aucune opposition de ces gens qui ne pensent qu’à sauver leurs petites richesses et surtout leur vie.

Après avoir traversé les bosquets épineux, pris le sentier au flanc de la montagne qui commence à déverser une rivière rougeoyante  brûlant tout sur son passage, elles traversent le pont de bois et de lianes qui se balance au-dessus du torrent. Enfin elles arrivent exténuées à la chute d’eau, passent derrière celle-ci et se précipitent dans la salle aux flambeaux. Elles cherchent fébrilement des signes gravés sur les murs. Rien !

Elles ne veulent pas perdre de temps, le sol oscille dans tous les sens. Aussi elles décident d’avoir recours au médaillon avec le scarabée.

  • « Artémis je ne trouve pas le médaillon… »
  • « C’est impossible ! C’est toi qui l’avais…  Attends. Je ne l’ai pas… Vide ta besace et vérifie. »
  • « Artémis, je ne l’ai pas, je… » commence à gémir Simétra.
  • « Vous cherchez ça ? » lance une voix derrière elles.

Elles aperçoivent Mona se diriger vers elles tenant à la main le fameux médaillon.

  • « Donne nous ce médaillon, il est à nous. Donne-le-nous tout de suite c’est urgent, nous devons partir d’ici. » insiste Artémis sèchement.
  • « S’il te plait, Mona, il nous faut ce médaillon, je t’en prie… Que veux-tu ? » supplie Simétra plus diplomate que l’aînée.
  • « Je veux venir avec vous, je veux vivre, je ne veux plus rester ici à me morfondre. Je veux vivre des aventures comme vous… Emmenez-moi avec vous… » répond Mona attentive à ne plus exiger mais plutôt à solliciter de la bienveillance de la part des deux jeunes femmes.
  • « Nous ne pouvons pas… » commence à intervenir Artémis, quand un immense grondement se fait entendre et que le sol tremble fortement.
  • « Mets-toi là entre nous deux et agrippe toi à nous… Donne-moi maintenant ce médaillon…On verra bien » soupire Simétra. Artémis commençons s’il te plait c’est urgent… Pourvu… »
  • “Anseo t’aimid ag breacadh an lae

 Huung-wa-ké- yé-ka-haaang “ commence Artémis.

Mais, rien ne se passe, pas de brouillard, pas de déflagration.

  • « Essayons de dire ses mots ensemble, Mona, mais dépêchons-nous, la terre tremble de plus en plus et regardez le plafond de la salle, il se fissure. » intervient vivement Simétra « Répète les syllabes après nous, Mona. An-seo- t’a-mïd- ag-brea-câdh-an-laë-Huung-wâ-kê-yê-ka-haaang.”

Le brouillard épais sentant la myrrhe et la fleur d’oranger apparaît, s’épaissit et les enveloppe toutes les trois. Elles chancellent et se pâment quand la déflagration suivie de l’éblouissement intense les secoue.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article