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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

La Rue du mot Oublié

La Rue du mot Oublié

 

Voilà, c’est ici que j’ai grandi. Dans ce qui jadis n’était qu’une ruelle. Mes parents venaient d’y faire construire leur maison au milieu d’un immense jardin. Tout du moins il l’était à mes yeux d’enfant de cinq ans. D’autres demeures commençaient aussi à voir le jour. À cette époque, les voitures de passage dans cette ruelle se comptaient sur les doigts d’une seule main tout au long d’une journée. Peu téméraire, très réservé, je ne connaissais personne, dans cette longue allée sinueuse. Mais mes parents m’avaient déjà éduqué sur la politesse envers toute personne. D’ailleurs elle se nommait la ruelle des bonnes manières. Elle commençait au croisement de la rue du savoir-vivre et débouchait sur le sente de la courtoisie. Je me devais donc de saluer tous nos nouveaux voisins que je croisais, faute de réprimande. J’y ai fait la connaissance de mes voisins de mon âge et des copains et copines de classe. L’école se situait au tout début de la voie. J’y ai appris à monter sur un vélo sans me soucier de la circulation. Après quelques semaines d’expériences à vanter mes prouesses devant mes parents en les interpellant :

Au premier passage, « Maman ! Maman ! Sans les bras »

Au deuxième passage, « Papa ! Papa ! Sans les jambes »

Un peu plus tard, après une chute, au troisième passage « Oiwouan ! Baba ! Fans les dents »

 

Mais dans la vie turbulente d’un enfant, la politesse et les exploits ne suffisent pas. Il y a aussi les bêtises. Comme celle qui suit par exemple. Vers l’âge de 11ans si je me souviens bien, avec Didier, un de mes voisins, nous avions peur de M. Moustache comme nous l’appelions. Vous vous doutez bien pourquoi nous l’avions surnommé ainsi. C’était quelqu’un qui avait une femme que nous ne voyions jamais, à tel point que tous les enfants de la rue se demandaient s’il avait vraiment une femme en sa compagnie.

 Il avait une fille de notre âge, que l’on apercevait parfois de l’autre côté de la clôture épaisse et opaque. Mais elle n’avait jamais le droit de sortir seule de son jardin. M. Moustache avait un faciès de bougonneur, inquiétant, patibulaire mais presque, comme disait Coluche. Il possédait un poulailler dans l’angle de son jardin juste derrière le mur qui donnait sur la chaussée. Avec Didier, nous nous amusions à lancer des petits pétards par-dessus le mur pour qu’ils retombent dans le poulailler puis nous courrions immédiatement, le plus loin possible du côté opposé au poulailler par rapport à la maison. Dès les premières explosions, M. Moustache sortait de sa prison en rouspétant, en criant, il ouvrait son portail dans l’espoir de voir les coupables de ce geste. Encore à plusieurs mètres de la maison, Didier et moi arrivions d’une démarche nonchalante, nous saluions avec une courtoisie maligne M. Moustache en essayant de ne pas éclater de rire.

  • Hey ! Les gamins, c’est vous qui venez de jeter des pétards dans mon poulailler ?
  • Non m’sieur, mais on a vu quelqu’un courir par là. Nous pointions nos doigts droit devant nous, à l’opposé d’où nous arrivions. Mais il n’y avait personne évidemment. M. Moustache ne devait nous croire qu’à demi-mot. Il refermait son portail en le claquant et nous l’entendions grommeler :
  • Sale gosses.

 

Ça, ce n’est qu’une anecdote de pré-adolescent car il y eut pire que celle-ci, et d’autres encore survenues un peu plus tard dans la vie des jeunes cons d’ados que nous étions. Mais ces âneries furent toujours effectuées par et avec le respect de l’art de la bêtise juvénile. Donc par considération à votre égard, je vous épargnerai leurs récits, tout du moins cette fois ci.

 

Le temps passant, certains autochtones de la ruelle déménageaient, d’autres arrivaient, acquéraient leur demeure et s’installaient. Par politesse, les « anciens » donnaient un coup de main aux derniers gestes de l’emménagement. Cela permettait aussi de faire connaissance avec les nouveaux arrivants. Pour les jeunes hommes de la ruelle se renseigner sur les us et coutumes des jeunes femmes. En fait tous les « clochards » de la ruelle encore présents depuis leur petite enfance cherchaient à déguster un spaghetti avec la « belle » qui venait d’arriver. Ce fut avec courtoisie et galanterie que je fis la connaissance en profondeur de l’une d’entre elles. Plus simplement, nous nous sommes découverts, et ce dans tous les sens que peut se recevoir cette expression. Mais elle ne fut présente que trois courtes années avant de déménager à nouveau. L’un dans l’autre, nous nous saluâmes toute une nuit avant de faire nos adieux déférents.

 

Il y a un demi-siècle de cela, ce fut une souris de renommée mondiale qui s’installa près du village. À partir de ce moment, une métamorphose totale de la commune, de ses rues et de ma ruelle s’opéra. Le patelin s’est agrandi, il est devenu une ville, une métropole. Sa population de cinq cents âmes s’est multipliée par cent et continue toujours de s’accroître. L’arrivée de la souris et de tous ses amis fut le déclic pour moi qui ai toujours vécu dans une atmosphère paysanne et conviviale. Je suis allé voir ailleurs si j’y étais, je me suis trouvé et j’y suis resté.

 

Aujourd’hui, au crépuscule de ma vie, j’ai souhaité faire un pèlerinage dans cette ville « neuve », un saut dans le temps, le cycle des souvenirs d’enfances. Je m’aperçois que ces souvenirs ont eux aussi déménagé. J’ai fini, après bien des tours et des détours par retrouver la ruelle de mon enfance. Elle aussi a grandi. C’est désormais une grande rue, large, avec des trottoirs dignes de ce nom. Les premières maisons et ce, jusqu’à la moitié de sa longueur au moins, de chaque côté ont fait place à des commerces. Par chance celle où j’ai vécu est encore debout, mais pour combien de temps encore. Les travaux pour un soi-disant avenir de rêve, capitalise des visions cauchemardesques.

 La chaleur et la générosité des habitants d’antan ont disparu. La joie d’y vivre a mis la clé sous la porte. Les citoyens actuels souffrent d’amnésie de civilité. Les hommes et les femmes qui n’utilisent pas leur moyen de communication individuel avancent la tête basse, le regard fixant le sol. Les mains dans les poches. La Denrée se poserait à trois mètres d’eux qu’ils ne s’en rendraient même pas compte. De toute façon ces énergumènes sont incapables de faire cuire des pâtes, alors de là à concevoir une soupe aux choux ! ...Les femmes et les hommes tapotant et/ou papotant sur et par leur appareil de communication personnel avancent tel des zombis accaparés par la lumière de leur écran. Les rares spécimens, hommes ou femmes, qui ont la tête droite, considèrent mon comportement comme une agression. Les premiers froncent les sourcils, prêt à me dégainer un uppercut du droit.

Les secondes font une grimace de mépris en se demandant où trouver le #dénoncelajovialité. Le pire dans tout cela c’est que ces quidams se vantent d’avoir chacun des milliers d’amis virtuels alors qu’ils ignorent ce qu’est l’amitié et l’empathie. Tout cela parce que j’ai osé leur adresser un sourire et leur dire “BONJOUR”.

 

C’est sans doute la raison pour laquelle ma ruelle des bonnes manières a été rebaptisée “la rue du mot oublié”. Que la sente de la courtoisie se nomme désormais “l’impasse à l’insulte de son plein gré”. Que la rue du savoir-vivre s’appelle à présent “l’avenue d’Aloïs”.*

Cillian

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Chacun a sa rue et  Cillian a choisi ses mots pour la dire....

 

*:Aloïs est le prénom du Docteur Alzheimer

 

 

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