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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Milla

Episode 3

Episode 3

Après avoir rejoint le jardin abandonné Artémis et Simétra regagnent la galerie souterraine pour retrouver l’endroit où elles s’étaient réveillées. Elles pensent que tout pourrait venir de ces inscriptions mystérieuses qui tapissent les murs. Du moins, elles l’espèrent. Comme sous le toal-men*, leurs mains hésitantes caressent les signes gravés dans la pierre et la mélopée de nouveau se fait entendre. Le brouillard épais sentant la myrrhe et la fleur d’oranger survient, s’épaissit et les enveloppe. Inquiètes, mais pleines d’espoir elles se prennent la main. L’assourdissante déflagration et l’éblouissement les font chanceler et se pâmer à nouveau.

A leur réveil, une demie pénombre les entoure et l’humidité des lieux les fait frissonner malgré leur mantel. Une lueur rougeoyante et tremblotante attire leur regard.

 Elles suivent une étroite galerie creusée dans la roche pour s’approcher de cette source de lumière. Soudain des bruits les arrêtent, ce sont des murmures et des frottements. Elles reprennent leur progression prudemment en se cachant derrière des rochers. Elles arrivent aux abords d’une grotte éclairée par un feu de bois. Sur la paroi qui leur fait face deux immenses ombres cornues bougent au rythme d’une complainte accompagnée de sons sourds de percussion. Sur les murs de la cavité elles devinent des dessins : des mains de couleurs et de tailles différentes, des représentations d’animaux et des signes. L’odeur âcre du bois brûlé titille les narines de Simétra qui soudain éternue. Les deux ombres cessent leurs mouvements, le chant se transforme en grognements et soudain devant elles surgissent deux énormes masses poilues. Terrifiées, elles hurlent, tentent de s’échapper mais elles se bousculent et choient au sol. Elles distinguent alors deux silhouettes humaines cachées sous de lourdes fourrures à l’odeur âpre et pénétrante. Elles sont saisies et secouées méchantement. Les vociférations gutturales de ces deux énergumènes pétrifient Simétra. Mais Artémis se rebelle contre cette poigne qui veut l’immobiliser, elle lève la tête et crie à son tortionnaire tout son courroux :

  • Lâchez-nous pleutre pendard, lâchez-nous prestement, faute de quoi je… 
  • Aïe ! Quel malcréant, il me broie le bras !  Gémit Simétra.
  • Peste soit de vous, maroufles. Enlevez vos sales pattes de nos personnes. Grossiers personnages ! Valdeniers* ! Hurle l’aînée en se retournant vers son tourmenteur pour le souffleter.

Les deux individus grommellent fortement, agrippent plus fermement leurs captives et les poussent en avant pour débouler dans une caverne où plusieurs individus viennent à leur rencontre. Point d’agressivité de leur part, plutôt de la curiosité. Les deux cerbères les jettent au sol, enlèvent leur masque à cornes et l’épaisse fourrure qui les recouvrent et les font géants. Ils ressemblent à s’y méprendre au va nu pied du village, celui que tout le monde appelle « Jacquot le Demeuré » ou « Jacquot le crève la faim ».

Comme lui, les deux hommes ont le visage épais mangé par les poils, mais ces derniers ont les sourcils encore plus proéminents et de fortes mâchoires. Leurs cheveux hirsutes, gras et longs, tombent sur leurs épaules couvertes de peaux de bêtes allant jusqu’aux genoux. Leurs jambes sont cachées par des jambières faites de cuir.

 Artémis les affronte du regard, Simétra les observe entre ses paupières mi-closes ; elles remarquent la présence de six femmes et dix enfants de tous les âges ainsi que quatre autres hommes adultes. Certains d’entre eux s’approchent d’elles, leur tâtent le corps, soulèvent leurs mantels et même leurs cottes. Ils leur tirent leurs longs cheveux blonds et roux aux boucles souples et brillantes. Elles essaient de se rebeller contre cette rude inspection sans gêne, repoussent leurs mains fureteuses. Artémis tente une échappée en entraînant sa jeune sœur vers la large ouverture de la grotte. Elles entendent derrière elles deux bourdonnements suivis de deux sifflements puis d’un claquement sourd. Celui-ci accompagne leur chute sur le sol. Leurs chevilles se retrouvent entravées par un lien qui s’est enroulé autour d’elles avec une boule à chaque extrémité. Elles sont de nouveau saisies et emportées sur le dos comme des sacs d’épeautre vers une alcôve sur le côté de la caverne. Elles sont alors jetées à terre sans ménagement, les chevilles et les poings liés. Leurs mains sont ramenées au-dessus de la tête et attachées à un pieu fixé dans la roche à quelques pieds du sol.

De leur recoin, Artémis et Simétra ne voient plus grand-chose de leur prison et de leurs occupants ; elles perçoivent une chamaillerie qui s’enfle fortement sans en comprendre un seul mot. Puis la lueur des flammes s’accroît, des odeurs de viande et de légumes s’élèvent, une douce tiédeur envahit l’atmosphère alors que les discutailleries sont loin de se calmer. 

  • Ces odeurs de soupe me titillent l’estomac c’est fou ce que j’ai faim… Il va falloir trouver un moyen de nous sortir de ce mauvais pas, Simétra » souffle Artémis.  Mais point d’apeurement… Restons calmes. Nous allons sortir de ce guêpier foi d’Artémis, reprend-elle, désireuse de rassurer sa jeune sœur.
  • Artémis ? Tu sais où nous sommes ? Se plaint celle-ci.
  • Hum, hum, tu te rappelles les histoires folles que nous racontaient La Grande Berthilde et même notre mère Erina… Leurs drôles de voyages… »
  • Leurs voyages ? 
  • N’y pense pas, je déraisonne sûrement. Mais, je ne sais pas… Peut-être bien que… Non, rien.  Continue à marmonner Artémis. Comment nous échapper ? Il faudrait que nous retournions à l’endroit où nous avons surpris les deux hommes. Sur les parois parmi tous les dessins j’ai cru reconnaître certains… 
  • Tu crois que… Chut ! Taisons-nous, on dirait que quelqu’un vient…  Interrompt Simétra.

A la faible lueur qui règne dans l’alcôve les deux jeunes filles voient deux femmes s’avancer précautionneusement vers elles, tenant dans une main une écuelle pleine d’une soupe épaisse et dans l’autre un lourd sac de cuir. Elles sont accompagnées d’une jeune femme tout juste sortie de l’enfance marchant avec difficulté et qui s’agrippe à l’une d’elle. Les deux adultes s’installent face à elles et leur présentent la gamelle de bois. Artémis et Simétra n’osent refuser et sentant leur estomac crier famine, elles acceptent de manger ce brouet au bon goût de moelle.

  • J’espère qu’elles ne veulent pas nous empoisonner, murmure Simétra.
  • Ça m’étonnerait… S’ils l’avaient voulu ils auraient pu nous occire depuis un bon moment. Eh ! Qui êtes-vous ? Où sommes-nous ?  Interroge Artémis.

Les trois femmes visiblement ne les comprennent pas, elles se lèvent, viennent à elles. L’une d’elle détend légèrement leurs entraves, l’autre dépose près d’elles le lourd sac de cuir qui est une sorte de gourde contenant de l’eau et deux grandes peaux de bête. La plus jeune avance timidement, tend une main vers Simétra, lui caresse les cheveux et lui sourit. Puis toutes les trois s’éloignent lentement, se retournent pour les regarder, hésitent à partir et reviennent vers elles. L’une après l’autre se tape sur la poitrine en disant :

  • MaÏa, Ma-ïa.
  • Moëla, Mo-ëla
  • Milla, Milla, Milla chante la jouvencelle en tendant une plume à Simétra.
  • Tu t’es fait une amie, la Milla semble t’apprécier. Simétra ! Elle s’appelle Si-mé-tra ! Moi, Artémis, Ar-té-mis. Elle Simétra, insiste Artémis en frappant sa poitrine ainsi que celle de sa sœur.

Au loin un appel retentit, Maïa, Moëla repartent précipitamment mais la jeune fille traîne près elles et avant de s’éloigner en boitant fortement leur fait un petit signe de la main.

  • Milla est infirme, elle a la jambe gauche bien plus courte… tu as vu la cicatrice… Il a dû lui arriver un accident. Il me semble que nous avons des alliées dans la place, dit Simétra en souriant à Milla qui s’est retournée une dernière fois pour leur sourire.
  • Euh ! Je ne suis pas si sûre qu’on puisse avoir confiance en elles… Mais attendons pour voir… Réplique Artémis sceptique.
  • C’est de bon augure ; elles sont venues à nous, elles nous ont donné à manger et à boire. Sympathisons avec elles, elles nous détacheront bien un jour… Nous pourrons alors peut-être nous échapper émet Simétra soudain optimiste.

La vie des deux jeunes filles avides de liberté et d’aventures prend une tournure bien monotone les jours suivants. Au lever du jour, Maïa, Moëla et Milla viennent les chercher, toujours pieds et poings liées. Artémis et Simétra sont amenées parmi les autres pour partager le repas frugal du matin. Elles assistent au départ de douze individus lourdement armés. Apparemment ceux sont les chasseurs de la tribu ; surprises elles constatent que quatre femmes se joignent aux hommes. Seuls deux anciens restent là avec les plus jeunes enfants ainsi que Maïa et Moëla qui sont parturientes. La difficulté de se mouvoir et la rondeur du ventre de Maïa présage un proche enfantement. Milla quitte rarement Simétra malgré leurs difficultés pour communiquer.

  • Il me semble qu’elle veut apprendre notre langage, elle est attentionnée et essaie de répéter tous nos mots. Elle nous a rendu nos besaces, j’en suis toute assouagée* de les avoir récupérées, affirme Simétra.
  • Alors, essaie de lui faire comprendre que nous devons partir… Qu’elle nous amène à la salle des dessins. Je suis sûre que c’est de là-bas que viendra notre unique salut,  insiste Artémis.

Les jours suivants, Artémis et Simétra sont toujours entravées aux chevilles et surveillées par Moëlla, Maïa et Milla. Dans la journée, elles participent à la cueillette de fruits sauvages et de champignons aux alentours de la caverne. Elles installent même quelques collets et enlèvent ceux qui ont piégé le petit gibier qui abonde près de la rivière qui coule au pied de leur abri. Maïa et Milla leur apprennent à gratter les peaux de bêtes avec des outils de pierres ou d’os affutés. Le soir elles assistent au retour des chasseurs qui sont toujours accueillis avec moult accolades et manifestations bruyantes. Enfin le repas est pris en commun et la soirée s’éternise un peu autour du feu. Tous s’installent confortablement, les adultes racontent à tour de rôle des histoires à grands renforts de gestes mimant des scènes de chasse ou de combats. C’est ainsi qu’Artémis et Simétra apprennent que Milla a été blessée lors d’une chasse à laquelle elle a participé. Certains soirs, Rouar, le compagnon de Maïa chante d’une voix grave de douces mélodies qui embrument les yeux de ses compagnons. D’autres soirs, il lui arrive de goualer des chansons pleines d’allant au rythme des tambours de Trarar et de Ragrock , les deux individus qui les ont capturées. Alors pris d’une exaltation débordante et incontrôlable, femmes, enfants et hommes se mettent à danser.

Les deux jouvencelles ne sont plus effrayées ; curieuses, elles découvrent une vie sociale différente de la leur. Grâce à Milla elles connaissent maintenant les noms de tous, quelques mots d’usage, mais le plus souvent elles devinent plus qu’elles ne comprennent ce qu’ils disent. Leurs mots qui leur paraissaient n’être que des grognements sont rudes comme raclés dans leur gorge ; elles y perçoivent des modulations et des sons différents. Elles jouent avec les jeunes enfants, entourent Moëla et Maïa d’attentions pour faciliter leurs ouvrages et acceptent d’effectuer certaines corvées pour le bien être du groupe. Une certaine réticence existe toujours de la part des membres de la tribu à l’encontre des deux jeunes femmes à l’allure et au tempérament si différents des leurs. Simétra éprouve une douce affection pour Milla qui le lui rend bien. Artémis qui a souvent aidé la Grande Berthilde et sa mère Erina lors des enfantements des femmes d’Ay-Uhel se rapproche de Maïa qui ne refuse pas son aide.  

Une fin d’après-midi, alors que tout le groupe est autour du feu à écouter Graar, l’homme qui paraît être le chef, l’alerte est donnée, les deux captives sont ramenées vivement dans leur niche, attachées et cachées. Bientôt des clameurs bienveillantes accueillent des visiteurs tous aussi jacassiers que leurs hôtes. Artémis et Simétra devinent leurs accolades musclées et chahuteuses par leurs criailleries joviales.  Toute la nuit, ripailles et réjouissances s’éternisent. A potron-minet, malgré une nuit très courte, elles sont réveillées par des bruits trahissant une forte excitation qui met leur curiosité en éveil.

Puis le silence survient annonçant le départ de la plupart des femmes, hommes et enfants. Maïa et Milla viennent chercher les deux jeunes femmes, leur font signe de ne pas se montrer mais leur permettent de regarder la troupe des chasseurs agrandie de dix individus partir à la chasse. Ce départ ne ressemble pas aux précédents, en plus d’une agitation inhabituelle, pour cette expédition, hommes, femmes et enfants sont encore plus pesamment armés. Les jours suivants, la vie au campement se passe en cueillettes, petits travaux de routine et longue attente du retour des chasseurs. Les deux captives sont désentravées, mais seulement en journée ; elles ne sont jamais laissées seules.

Moëla, Maïa et Milla, toujours plus proches d’elles, leur offrent quelques petits présents dont un collier fait de perles de pierres, de plumes et de dents de renards qu’Artémis et Simétra ont accepté avec joie. Plus les jours passent et plus Moëla, Maïa et Milla leur semblent inquiètes ainsi que les autres membres de la tribu.

Au dixième jour les chasseurs reviennent, on les entend de loin, un joyeux tapage braillard monte de la forêt. Sur des brancards de bois ils tirent des pièces énormes de viande, de la fourrure aux poils longs et laineux sentant le sang mêlé à des odeurs fétides. Tout est hissé et entreposé sur l’avancée de la caverne. Rouar et Graar portent sur leurs épaules une impressionnante branche recourbée formant un « O » presque fermé, de couleur blanche allant au marron clair. Tous sont très excités, prononcent et scandent le mot « mamout » en montrant le trophée. Artémis et Simétra profitent de toute cette effervescence pour aller se cacher dans leur abri. Cet accueil exubérant leur rappelle les dires de la Grande Berthilde quand elle racontait l’admiration du peuple pour le légendaire Godefroid de Bouillon. Pour fêter cette chasse fructueuse, des agapes sont organisées. Toute la nuit beuveries et gloutonneries s’enchaînent ; exténués et repus tous s’affalent et s’endorment près du feu qui faiblit.

Profitant d’avoir été oubliées et non rattachées, Artémis et Simétra se faufilent et contournent les corps endormis pour gagner la salle aux dessins. Maïa soulève la tête, entrouvre les yeux et voit ses deux amies s’éclipser. Milla se réveille, veut se lever et les rejoindre quand Maïa la saisit fermement par la taille, la colle à elle et la bâillonne de sa main pour l’empêcher de donner l’alarme. Alors toutes les deux ferment les yeux, poussent un soupir et laissent leurs larmes couler sur leurs joues.

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*Toal-men : Dolmen 

* Valdenier : vaurien

*Assouagée : soulagée

 

 

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