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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Les Hautes Terres d’Aydan

Episode 1

Episode 1

Deux mois avant la célébration de la Nativité du Christ, la nouvelle s’était propagée dans le bourg d’Aydan comme la rivière Ay en crue. Point d’allégresse en ces lieux, elle provoqua médisances et moqueries parmi la populace. Les bourgeois et les nobliaux furieux de ce scandale se taisaient. La belle Rhiannon, veuve de deux ans du Seigneur Elouan Brayan des Hautes Terres d’Aydan, était engrossée, sans pour autant avoir de nouveau convolé en justes noces. Il ne fallait attendre aucune indulgence de la part de la belle-famille et de l’église. Le jour de l’enfantement coupable arriva le dimanche de l’Epiphanie. Il faisait froid, le vent du nord sévissait et le ciel maussade annonçait une prochaine tempête.

 Erina la rousse, guérisseuse de son état, avait été appelée et le travail de la parturiente fini, cette dernière avait été priée d’emporter la nouvelle-née loin du pays. Le beau-père de Rhiannon désireux de rembourser la femme et de la faire taire lui avait offert une bourse conséquente. Il l’avait sommée de garder le silence, de s’éloigner séance tenante et de ne jamais revenir dans les alentours.

Quelques vêtements, potions, simples et onguents dans un baluchon, Erina fit d’une fourrure et d’un drap de chanvre une grande et confortable besace pour y déposer le bébé. Elle la passa sur son épaule, la fixa à sa taille et la cacha sous son mantel de laine brune. Elle demanda à sa fille Artémis âgée de six ans, fruit de ses amours adultérins avec Ervin le louvetier de se préparer pour un long voyage.

  • Prends seulement quelques vêtements chauds dans ton sac… Tu devras le porter, alors ne prends que l’indispensable. Moi je suis suffisamment chargée avec mes affaires et cette mouflette.

La fillette était la réplique miniature de sa mère et comme celle-ci, elle promettait d’avoir un caractère bien trempé. Elle n’hésita aucunement et lui obéit sans poser de question. Tout en s’agrippant à sa génitrice, Artémis sortit sans un regard sur cette maison qui l’avait vue naître et grandir. Elles camouflèrent sous leur capuchon leurs chevelures de feu qui leur avait valu déjà bien des rosseries de la part des bigots d’Aydan. Courbant le dos, elles prirent la sente qui contournait la rue principale et la place du village, puis elles s’éloignèrent prestement des terres du Seigneur. Depuis l’arrivée du nouveau prêtre, il ne faisait pas bon d’être guérisseuse et surtout femme savante.

Au regard des quelques quidams qu’elles rencontrèrent lors de leur pérégrination Erina la rousse fit du bébé sa fille cadette. D’un commun accord, elle et Artémis lui donnèrent le nom de Simétra.

Les jours, les semaines et les mois s’effilochèrent. Elles parcoururent maintes lieues, sillonnèrent de nombreuses forêts et campagnes évitant de rester plus de deux jours au même endroit. Elles traversèrent, tout aussi rapidement, des villages pour s’approvisionner en vivres nécessaires à leur survie. Elles vécurent de la générosité des uns, des picaillons des autres, de ceux à qui Erina vendait des remèdes qu’elle avait concoctés chemin faisant.

Il lui arriva aussi d’être obligée de se délester de quelques pièces pour un peu de victuailles et biens indispensables à leur sauvegarde.

Enfin le printemps arriva. Les journées s’allongèrent notablement, les pluies fréquentes transformèrent les chemins en véritables bourbiers où il fut très difficile de progresser. Artémis épuisée ne se plaignait jamais et le bébé, semblant reconnaître l’urgence et la gravité de la situation, se faisait discret. Le jour de la fête de Saint Mamert alors que les températures hivernales sévissaient à nouveau Erina songea qu’il était temps de trouver un endroit pour faire une pause de quelques jours et peut-être s’établir. Ce soir-là, en arrivant aux abords d’un village, elle entrevit à l’orée du bois une chaumière avec une remise à l’écart qui ferait bien l’affaire.

  • Artémis, nous allons nous arrêter ce soir ici. Je vais demander au maître de la maisonnée de nous loger dans cette dépendance pour cette nuit et pourquoi pas quelques jours de plus. Il faut nous refaire une santé avant d’envisager de continuer à avancer encore vers l’inconnu. Peut-être même que nous pourrions… Tu me sembles éreintée ma pauvre fille. Tu ne te plains jamais… Tu es si courageuse… Je suis fière de toi. Mais il nous faut suspendre notre errance maintenant.
  • Comme tu veux Maman, je peux encore avancer… Aujourd’hui il fait de nouveau très froid et avec notre Simétra de plus en plus lourde tu dois être bien fatiguée… Elle ne gigote pas trop ? Elle doit avoir envie de sortir de la besace ?
  • Non, elle a dû se rendormir.

Elles s’approchèrent discrètement de l’habitation. Une lumière tremblotante s’échappait des huis disjoints de l’unique ouverture de la masure. Du toit de chaume, de légers panaches s’élevaient vers les cieux. Les animaux et les hommes devaient se reposer de leur dure journée de labeur. Il faudrait qu’elles se contentent de la cabane pour cette nuit glacée, alors qu’une bonne et chaude odeur de chou et de lard suintait de la demeure et venait leur chatouiller les papilles.

Soudain un aboiement arrêta les voyageuses, la porte s’ouvrit en grand et dans la faible lumière apparut une immense silhouette noire vociférant et retenant un chien d’allure féroce :

  • Qui va là ? Oh, là ! Qui va là ? Malfaisant ou innocent ? Voleur ou quémandeur ? Montre-toi ou je t’envoie mon chien et tu vas sentir les crocs de mon Cerbère !
  • Ce n’est que moi, Erina la guérisseuse, je ne vous veux aucun mal… lui répondit cette dernière. Ce n’est pas menterie de ma part, je voudrais me reposer dans votre remise… Je suis, nous sommes harassées par notre voyage… C’est la nuit… Il fait froid…
  • Je n’ai point besoin de mendiante, passe ton chemin ou je t’envoie mon Cerbère. Ne me la raconte point !  Je suis Berthilde la Grande, sorcière à mes heures. Déguerpis vitement ou je te lance un sort.
  • Je vous en prie, juste cette nuit supplia Erina en émoi par ces menaces et voyant son interlocutrice s’approcher d’elle d’un pas décidé.
  • Ouinn, ouinn, Ouinn…
  • Mais qu’est-ce que v’la ? Quel drôle de bruit…
  • Ouinn, Ouinn…
  • Qu’ouïs-je ? Des pleurs ! Montre ce que tu tiens dans cette besace… demande la femme en agrippant le mantel d’Erina.
  • Ouinn, Ouinn,
  • Crénom de… et par… J’en crois pas mes yeux, un poupard et que caches-tu là derrière ton dos ? Une mioche qui ne tient plus sur ses jambes dit-elle. Que fais-tu dehors avec ces mouflets par les temps qui courent ? Cherches-tu à te faire occire ? Veux-tu périr à potron-minet quand le froid blanchira la campagne et gèlera le sang de ton corps et celui de ces innocents ?
  • Non, je cherche un asile pour cette nuit et le bourg est encore loin. Je voudrais juste me mettre à l’abri et nous déglacer toutes trois…
  • Ce n’est pas chrétien de vous laisser dehors par ce vilain temps… Pfeu, bien que je connaisse des calotins bien peu généreux… Viens te mettre en lieu-sûr chez moi, nous partagerons la soupe. J’ai du lait et du brouet également pour ta marmaille…
  • J’ai de quoi vous payer…
  • Qui te parle de payer quelque chose ? Tu ne connais point Berthilde la Grande, ne me contrarie pas, je t’offre le gîte et le couvert… Nous nous tiendrons chaud tous les quatre sur ma paillasse, ce soir quand la flambée s’éteindra.
  • Oh ! Que Dieu vous bénisse Dame Berthilde la Grande…
  • Pfeu ! Veux-tu bien laisser Dieu en dehors de ça, faut point attendre de douceur des hommes et encore moins du ciel. Point de remerciements et de « Dame » avec moi, seulement Berthilde. Hâte-toi, rentre, on se gèle… A y bien réfléchir, je partage mon souper et ma paillasse si toi tu me paies en me racontant ton histoire sans fourberie.  Je suis bien désireuse de l’ouïr.

Ce fut le début d’une longue et belle amitié. Berthilde la Grande s’était trouvée une famille avec qui partager son temps et son amour grâce à ces trois nouvelles compagnes. Guérisseuse reconnue et respectée des gens des environs elle avait pu communiquer à Erina la rousse son grand savoir qu’elle détenait elle-même de ses aïeules. Erina, quant à elle, avait gagné une amie sûre, une seconde mère pour ses filles ainsi qu’un mentor pour accroître ses connaissances en médecine et sciences occultes.

Pour la rousse Artémis et la blonde comme les blés murs Simétra, les années suivantes s’écoulèrent dans une douce quiétude, loin de tous besoins. Unies comme deux doigts de la main les deux fillettes devinrent deux belles jeunes filles pleines de malice, d’impétuosité, de curiosité et de tendresse pour leurs aînées. Aucun rappel du Pays des « Hautes Terres d’Aydan ne vient les troubler. Berthilde et Erina les initiaient prudemment à leurs arts, leur racontaient mille et une histoires mystérieuses les surveillant comme la prunelle de leurs yeux. C’était le bonheur.

Les années ont passé. Artémis est devenue une belle jeune femme de 22 ans, elle ne s’est point mariée et vit toujours avec Erina sa mère, la Grande Berthilde et Simétra sa petite sœur.

Son caractère impétueux, sa chevelure de feu et ses taches rousses sur la peau la rendent pècheresse ou sorcière aux yeux des puritains d’ Ay-Uhel. Au village, l’arrivée d’un nouveau curé avait bien changé les mentalités, depuis cinq ans il y régnait suspicions et dénonciations. Des amoureux, la belle rouquine en a eu, mais tous ont préféré la fuir pour femme plus docile et plus malléable. Point d’aigreur de sa part, elle s’amuse de leur couardise et se veut heureuse de son célibat, sans attache. Simétra a 16 printemps, c’est un bien joli tendron aux longues boucles d’or pâle ; elle tente moult jouvenceaux des environs pour des liens matrimoniaux tant elle est parfaite de caractère et d’allure. Mais l’aînée est là pour calmer les ardeurs de ces drôles. D’un naturel conciliant, altruiste et réservé la sensible Simétra tente d’apaiser tout son petit monde surtout Artémis quand celle-ci s’enflamme et cela arrive souvent.

En plus de partager leurs savoirs avec elles, Berthilde et Erina leur racontaient depuis des lustres, maintes histoires étranges. Elles leur parlaient de disparitions mystérieuses, de réapparitions, de mondes inconnus et même de trouvailles étonnantes à potron-minet aux abords des Pierres Levées de « l’Antre du Tens ».  Ce lieu énigmatique qui se trouve à quelques perches d’arpent de la maisonnée de la Grande Berthilde leur est interdit. Fables ou réalités, l’intérêt des deux jouvencelles est fortement taquiné en particulier celui d’Artémis toujours avide de sensations fortes. Mais seules, la crainte de la colère de leurs deux mentors et la sagesse de Simétra ont pu freiner l’impétuosité et la curiosité immodérée de l’aînée jusqu’alors.

 

A suivre…

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R
en route pour le mystère.<br /> Ce chapitre semble prometteur.
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L
Une histoire très prometteuse, des femmes au caractère affirmé, une situation pas banale. Un très bon départ. Merci.
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