La Maison de mon coeur

Je ne suis pas très vieille comme ces maisons qui m'entourent. Je suis bâtie entre les vignes où chantent les oiseaux et l'école où les enfants apprennent les mots sur leur ardoise. J'ai été conçue par deux hommes aimant la vie à la campagne et j'ai accueilli leur famille avec conscience. Cette famille m'a aimée et je lui ai bien rendu. Je reste dans son souvenir l'endroit merveilleux où l'on riait bien avant les peines que le temps inflige.

Un beau jardin entoure mes murs et bien que modeste, il accueille les mésanges.  ll y a bien des années, des chiens au museau humide reniflaient les recoins quand les enfants inventaient des bêtises. Un vieux rosier répand encore ses effluves.

Ce n'est pas par hasard que j'existe. On m'a espérée, on m'a voulue comme une convoitise.

On m'a bâtie au bout du village, au bord d'une route où passent les jardiniers et les vignerons. Non pas pour m'isoler mais pour que je vive à l'aise. Si je n'ai pas connu la guerre, j'ai connu la peine de perdre mes premiers hôtes qui m'avaient donné la vie.

Puis une autre famille est arrivée qui m'a embellie sans me changer vraiment. Parfois, je vois au loin les voitures passer et j'en reconnais une. C'est celle de la petite fille qui enfant parcourait mon balcon en courant, claquait mes portes où chantait des chansons.

Souvent assise sur une chaise dans le jardin, elle lisait, s'enfuyait dans le cerisier ou allait cueillir le raisin. A chaque fois qu'elle passe devant moi, elle me regarde et je reçois son bonjour en plein cœur. Elle ne m'oubliera jamais. Je conserve dans mon intimité ses rêveries d'enfant et ses pleurs d'adolescente, son regard le jour où sa valise faite, elle a suivi son chemin de femme.

Je suis la maison de son cœur, celle qui ne bouge pas, bâtisse intacte au milieu du fracas de l'existence qui passe, semant les disparitions humaines. Tant qu'elle pensera à moi, je serai moi et après, une autre petite fille tissera de nouvelles mailles dans le réseau du souvenir.

Je suis la maison de l'enfance heureuse que l'on n'oublie jamais.

Comments

[Claudine]

Subtile nostalgie ! Un texte plein de tendresse qui avive mon regret de ne point pouvoir revoir la maison de mes jeunes années où...