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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Le Mur Dernier épisode

Le Mur Dernier épisode

 

 

Le dimanche suivant, le Capitaine se promène au bord du Morin : il a quartier libre et aime se ressourcer en allant à la pêche. Accompagné de son petit chien, Clémenceau, il réfléchit souvent à ses préoccupations professionnelles en toute tranquillité.

Cet après-midi là, il se dit qu’assurément, un secret lie les trois femmes qui habitent là juste en face de l’endroit où il est assis.  Que s’était-il vraiment passé le soir où Hélène avait voulu quitter son village ? Car finalement, tout le monde avait vu la valise, mais pas dans les mains de la jeune fille. Personne n’avait remarqué le jeune homme non plus. Il lui manque encore des éléments, il interrogera Clovis, le seul homme témoin de l’époque au milieu de toutes ses femmes imprégnées de leur passé.

 Clémenceau aime jouer avec des morceaux de bois, mais le gendarme apporte aussi quelques ballons avec lesquels le petit chien coure à perdre haleine. Au moment de partir, il en manque un. Le gendarme cherche et râle après le petit animal :

  • Tu es désespérant, dit-il à son compagnon au moment de partir, il en manque toujours un…  Et soudain, il comprend : qui avait déjà prononcé cette phrase ? Thelma, c’est sûr et…Margot ! Il se souvient maintenant de son air surpris quand elle a évoqué « le neurone » manquant de Thelma. Mais, il ne s’agit pas de ça. Margot sait. Et ce qu’elle sait résoudra l’énigme du cadavre qui manque. Rassemblant ses affaires le Capitaine rentre chez lui.

Le lendemain matin, il convoque Thelma et Margot à la gendarmerie.

Il les observe un moment, assises non loin l’une de l’autre dans la salle d’attente : elles se jettent des regards malveillants et Margot n’est pas en reste. Elles ne se parlent pas. Il les fait entrer toutes les deux en même temps.

Il explique alors où en est le fruit de ses réflexions : voilà, il manque un corps et s’adressant aux deux femmes en même temps, leur dit :

  • Vous savez où il se trouve. Vous le savez parce que vous avez vu quelque chose. Et bien que cela remonte à des décennies, vous vous en souvenez très bien.

          J’attends de vous un mot, un effort. Et là il regarde Thelma droit dans les yeux. Puis il les congédie, leur donnant deux jours de réflexion. En sortant, les deux femmes ne se parlent pas plus et partent chacune dans une direction opposée. Le Capitaine soupire, il n’est pas sûr d’avoir pris la bonne décision.

 

 

Alors il se rend à la mairie où Monsieur le Maire le reçoit et celui-ci éclaire davantage les connaissances du Capitaine. Margot et Thelma sont sœurs : Margot est l’enfant naturel que Lucien a eu avec son amie d’enfance, Rose. Les familles ne s’apprécient pas et d’un commun accord, pour une fois, décident que les jeunes gens ne se marieront pas. Rose est « indemnisée » et Lucien se marie avec Charlotte que bien entendu, il n’aime pas. Thelma nait au début du mariage, un an après Margot. Dès l’école primaire les relations sont désastreuses et beaucoup disent que Margot en fait voir à Thelma. Aussi, quand Hélène nait, deux ans après, Thelma rejette d’emblée cette petite sœur qui elle, est bien accueillie.   

  Car il faut dire que les deux époux contraints au mariage ont mal vécu cette première    naissance et ont rejeté leur amertume sur cette enfant somme toute innocente. Le drame de Thelma réside dans le rejet quotidien des gens qui l’entourent. Comble de malchance, Thelma s’éprend d’Etienne. Tout semble pour une fois aller mieux jusqu’au jour où il rencontre Hélène et alors, il fait son choix. Cette succession de chagrins a fait de Thelma la femme que vous connaissez.

Juliette, quant à elle, perd ses deux parents très tôt dans un accident de voiture. C’est sa grand-mère Amélie qui l’élève. Elle l’envoie à l’école et Juliette devient bibliothécaire.

Amélie comprend très tôt que sa laideur la fera souffrir et déterminée à aider sa petite fille, elle lui fait lire Alexandra David-Neel : le bonheur peut se trouver ailleurs que dans les bras d’un mari à s’occuper d’un foyer et d’une nuée d’enfants.

Alors Juliette se consacre à ses passions. Elle ne s’ennuie jamais. Gaie et généreuse, elle anime un atelier de lecture et rencontre un grand succès. Tout le monde l’aime. Son amitié avec Thelma parait tout simplement inattendue…de la part de Thelma !

 

 

Le lendemain matin, Margot demande à rencontrer le Capitaine. Il la reçoit gentiment et la priant de s’asseoir, lui propose un café.

  • Oui, répond-elle, je vais en avoir besoin. Le Capitaine attend un peu et lui dit qu’il l’écoute.

Voilà, elle sait où se trouve le corps et elle sait aussi qui les a tués. Tous les deux.

Hélène était une mijaurée qui courait après tous les garçons y compris son Clovis. Un soir, prise de colère, suite à un faux bond de Clovis, et elle sait pourquoi, elle décide d’aller visiter Hélène et de lui mettre les points sur les I : Clovis est à elle. Hélène minaude auprès d’Etienne que de toute façon, elle n’épousera pas. C’est Clovis qu’elle vise. Clovis et … ses terres !

Quand elle arrive devant la petite maison, Etienne et Hélène se bécotent sur le banc dans le jardin. Le jour tombe, c’est fin septembre. Elle est en train de pousser le portillon quand elle aperçoit Thelma, arrivant doucement derrière les amoureux. Elle tient un tisonnier à la main. Margot recule derrière le pommier pour ne pas être vue et assiste au drame : Thelma assomme d’abord Etienne, puis s’acharne avec une rage épouvantable sur Hélène. Quand le corps blessé tombe dans l’herbe, Thelma, saisie d’une frénésie s’abat sur Etienne. Elle accompagne ses gestes de petits cris d’effort. Elle s’essuie le front et se met à pleurer. Elle dit :

  • Voilà !  Et saisissant un corps, elle le traîne à l’abri du mur, puis fait de même avec l’autre. Margot, apeurée, ne bouge pas. Elle transpire de désarroi malgré la fraicheur de la nuit. Elle attend encore et voit Thelma revenir avec une pelle et une pioche. A l’époque, le mur qui sépare la maison de Thelma de celle de Juliette est abimé à un endroit. Thelma creuse davantage le mur …du côté de chez Juliette et y enfourne les deux corps. Elle rebouche le trou avec les pierres et rentre chez elle. Juliette est partie en voyage à Cabourg avec sa grand-mère. Le lendemain le mur est complètement rebouché. Un lilas cache l’endroit altéré.

 Quand Juliette revient, Thelma lui dit qu’elle a fait réparer le mur parce que les pierres tombent de plus en plus. Juliette n’y voit que du feu. Mais Margot comprend que si les corps sont découverts, on accusera Juliette.

Un soir, elle attend la nuit et entame le mur à son tour pour extraire les corps. Elle a l’intention de les jeter dans le Morin. Le premier qui sort est celui d’Etienne. Elle fait du bruit et la Grand-mère sort. Prise de panique, Margot se cache. Un chat traverse le jardin et rentre nonchalamment dans la maison. La vieille dame en fait autant. Margot, épuisée rebouche le trou et déplace le corps d’Etienne avec des efforts infinis. Elle le traine dans la grange de Thelma où personne n’entre jamais, car le bâtiment menace de s’effondrer. Elle décide de déplacer Hélène une autre nuit. Elle n’en peut plus et n’a pas trouvé la force de jeter Etienne dans la rivière.

  Quelques jours plus tard, la grange ne résiste pas aux pluies torrentielles qui s’abattent sur la Brie. A ce moment-là, Margot renonce à son idée et tout reste comme ça. Elle se met à surveiller Thelma qui à partir de ce jour se referme encore davantage sur elle-même.

Margot termine son récit sur un :

  • Voilà, épuisé. Le Capitaine lui demande :
  • Pourquoi n’avez-vous pas empêché Thelma de commettre son forfait ?

Et pourquoi n’avoir pas tout simplement dénoncé Thelma ? 

  • Je ne sais pas…enfin, Hélène, elle l’a pas volé !  Crie-t-elle dans un sursaut de colère.
  • Répondez franchement : puisque vous n’avez pas empêché ces meurtres, auriez vous pu les commettre ?
  • Je ne sais pas, peut-être sous le coup de la colère, mais faire porter le chapeau à Juliette : jamais ! D’ailleurs, c’est elle qui a convaincu Juliette quand l’idée saugrenue lui est venue d’ouvrir une porte dans le mur, de le faire au bout. Le pot aux roses aurait été découvert et Juliette accusée ! Bien évidemment Thelma s’est opposée à cette idée.

 

 

            Quand le fourgon arrive chez Thelma, elle est assise sur la terrasse, vêtue d’un tailleur sombre, le chignon bien tiré. Une curieuse petite valise marron est posée à côté du fauteuil.

Pour la première fois depuis de longues années, Thelma regarde quelqu’un bien en face. Un sourire à peine dessiné se lit sur ses lèvres sèches.

Elle se souvient : quand elle les a surpris enlacés sur le banc, cela avait été un jeu d’enfant de les frapper. Elle s’est acharnée sur le beau visage de sa sœur. Hélène lui a tout pris, l’amour de ses parents, l’amour de ce jeune homme, l’amitié de Juliette.

Elle était jeune alors, pleine de force et la haine l’habitait déjà depuis longtemps. Cela l’avait aidée pour transporter les corps dans la niche creusée dans le mur.

Elle avait pensé que maintenant plus personne ne pourrait lui prendre sa maison. Elle avait enfoui les deux corps dans le mur et comblé avec les pierres. Puis le lendemain, elle avait soigneusement réparé le mur.

Pour Juliette, la punition viendrait bien un jour et elle savourerait sa vengeance.

Mais le temps avait passé, les morts semblaient avoir disparu dans la robustesse séculaire du mur.

Juliette avait eu l’idée stupide de vouloir percer une porte à un autre emplacement que l’endroit propice et Thelma lui opposait toujours un refus. Enfin, elle s’était habituée à la présence sereine de Juliette. Mais le mur restait le seul rempart qui la séparait de Juliette : elle l’irritait avec sa gentillesse parfois teintée de sensiblerie. Tout le monde l’aimait. Rien ne la mettait jamais en colère. Elle s’occupait de ses fleurs comme on caresse un enfant. Même sa solitude ne la gênait pas.

Jamais Juliette ne connaitrait la souffrance de la haine. Elle avait voulu lui transmettre cette douleur qui aurait dû la ruiner, mais elle s’était à peine évanouie d’étonnement.

Avant de monter dans le véhicule, Thelma regarde sa maison : elle est sûre d’y revenir. Que pouvait-on lui faire maintenant ? Tout avait été accompli. C’était si loin. Sa haine acharnée, elle le sent, s’effrite. Il est temps.

 

Pendant ce temps-là, Juliette revient à la vie avec sa patience naturelle et seule l’idée de mourir un jour à l’hôpital la contrarie. Souvent elle pense à Thelma et à Margot. Ses deux amies sont deux insupportables écervelées. Elle soupire et son esprit chemine dans le passé : combler le vieux puits avait été une bonne idée et y construire la cabane de jardin dessus une sécurité opportune. Elle doit chasser de son esprit le secret que recèle le puits condamné et l’abandonner à l’éternité.

 Juliette a pris une décision : dans sa maison elle est née, dans sa maison elle mourra malgré le souvenir des habitants des murs.

FIN

 

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