Vingt six

1 Septembre 2020

Oserai-je dire que les grands esprits se rencontrent ? Dans ce cas précis, ce serait exact.

En consultant les consignes d’écriture réalisées avant mon arrivée dans votre atelier, Catherine, notre amie à l’esprit débordant d’imagination, vous avait proposé de disserter sur les mots haïs, d’en établir une liste et de laisser vos esprits vagabonder sur ce thème.

J’ai listé trois ou quatre série de mots, peine perdue, je ne suis pas parvenue à me laisser happer par eux. Certains mots sont tellement forts dans leur définition étymologique de la haine, du mépris, de l’arrogance qu’ils me sont détestables d’emblée.

Comment alors en parler ?

Tout en étant mal à l’aise, je tentai néanmoins de réaliser cet exercice littéraire. Très insatisfaite, j’envoyai toutefois sans grande conviction ma prose à Catherine. Exercice raté. Afin de me remonter le moral, Catherine m’invita à choisir des mots aimés. Même dilemme, amour, chéri et tant d’autres, me laissèrent indifférente.

Bon sang de bois, suis-je si nulle pour ne pas parvenir à régler ce mini problème. Problème égal chiffre. Si j’essayais avec les chiffres ! Je n’ai pas eu le temps de m’y atteler que Catherine nous enjoignait de le faire comme consigne de juin 2020. Voilà pourquoi mon introduction assurait que les grands esprits se rencontraient.

Mesdames, messieurs, mon rêve d’adolescente, c’était d’avoir vingt-six ans. Ce sera mon âge d’or pensai-je tant du côté privé que professionnel. Sûre de ma réussite, je ferai tout pour que mes vingt-six automnes correspondent à mon rêve de jeune fille. Ce sera là mon but, mon objectif premier.

De plus à vingt-six ans j’aurai le droit de parler à table, de participer à la conversation des adultes. Ce sera pour moi un signe de reconnaissance et je ferai désormais partie intégrante de leur monde.

C’est fou comme le temps défile sans que l’on s’en aperçoive. Ça y est, j’ai vingt-six ans : mon âge d’or. Maman de trois enfants, ma plus belle réussite.

Ils sont ma fierté de mère à l’infini. Ai-je salué comme il se doit l’objectif que je m’étais fixé ? Aujourd’hui je ne m’en souviens pas. Oh, j’étais certainement en manque de bougies !

Mes vingt-six ans ne ressemblaient guère à ce que j’avais imaginé quelques années en amont. Certes j’avais le droit de parler, de participer aux conversations et n’étais plus une gamine sans expérience mais tout n’était pas rose, loin s’en faut !

Côté professionnel j’étais entre deux eaux ; à gauche noyade, trop de travail, trop de tout, j’étais à bout et seule dans les responsabilités de toutes sortes. Côté droit, un point lumineux dans le lointain m’incitait à croire en moi à cent pour cent de mes capacités de femme de caractère.

Avais-je je raison de croire en mes vingt-six ans ?

Toujours est-il que la décision de créer mon entreprise fut prise cette année-là. La concrétisation sera effective après moult études et consultations diverses un an et demi plus tard. Je pris confiance en moi mais je dus une nouvelle fois m’imposer dans un monde d’hommes.

C’est avec brio que je réussis cette étape.

Ce chiffre vingt-six me permit d’avoir trois numéros gagnants au loto. J’ai été remboursée de ma mise : rien perdu, rien gagné.

Vingt-six ans c’est l’âge que ma fille chérie avait lorsque les trémolos dans la gorge, elle m’annonça son prochain mariage dans huit mois. J’avais déjà pris un coup de vieille en devenant grand-mère pour la première fois il y a à peine quinze jours mais à cet instant ma fille volait de ses propres ailes en entrant dans une autre famille.

Vingt-six, ce nombre composé de deux chiffres paires m’a offert de nouvelles responsabilités législatives, puisque ce vingt-six mai 2020 j’ai été élue Madame le Maire de mon village.

Mais ce chiffre vingt-six en 2017 fut le meilleur cru de ma vie terrestre car je suis entrée les deux pieds en avant dans la retraite qui m’était généreusement accordée, pour bons et loyaux services, à 62 ans.

Quel palindrome !

Élisabeth