Sylvestre et le pouvoir d'achat

Episode 7

Monsieur le Ministre des Economies,

Voilà Monsieur le Ministre, ma femme Gillette s’est inscrite à un club de randonnée. Hier, ils m’ont invité à leur bivouac du rond-point. Je sais pas pourquoi ils ont choisi cet endroit, mais c’est bien sympathique : tous les automobilistes klaxonnent et font signe bonjour. Je suis pas resté longtemps avec eux parce que les amis de Gillette, c’est des intellos et je comprends pas toujours leurs mots.

Mais je la trouve énervée Gillette depuis qu’elle fait de la randonnée, c’est pas normal. Alors j’ai mené mon enquête. Moi je suis chasseur alors je sais observer la nature et ce qui m’entoure mais j’avoue que les randonneurs, c’est un drôle de gibier.

Ce qui les tracasse, c’est le pouvoir d’achat. C’est bizarre parce que moi par exemple, j’achète rien. En automne et en hiver j’enfile mes bottes, mon costume kaki, mon gilet jaune, je mets mon fusil sur l’épaule, je fourre mon casse-croûte dans ma poche, je siffle Diogène et Galilée, mes deux épagneuls et me voilà parti dans les bois, dans la plaine, dans les chemins. Et par là, y a rien à acheter : pas de boutiques, pas de magasins, même pas de boulanger ou d’épicerie. J’ai pas de ticket de bus ou train à prendre parce que chez nous à la campagne, y a pas de transport en commun et c’est mieux comme ça : si vous saviez ce que c’est que voyager en train, vous préféreriez la voiture ou l’avion !

J’ai pas besoin de girouette pour simplet, vous appelez ça un GPS parce que je sais qu’à l’est on va à Château Thierry, à l’ouest c’est Meaux, au nord c’est Nanteuil Le Haudoin et au sud c’est Melun et je m’en fous parce que j’y vais jamais.

Au printemps et en été, je travaille à l’intérieur : je fais des petits boulots de plomberie, d’électricité ou autres petits dépannages. Pour ça on me donne la pièce et je donne tout à Gillette.

Bref, j’ai appris que vous aussi vous aviez des soucis avec le pouvoir d’achat et les économies.

Alors, j’ai questionné Gillette et elle m’a tout expliqué simplement.

Alors voilà Monsieur Le Ministre, il y a plusieurs catégories de français : les salariés, les retraités, les chômeurs et les sujets devenus flâneurs. Y en a qui sont pauvres et d’autres un peu moins. Chez les sujets devenus flâneurs y a des salariés, des retraités et des chômeurs très pauvres. Vous me suivez ?

Pour les retraités, ils touchent la petite retraite le premier du mois et la retraite principale le dix du mois. La petite retraite sert à remplir tout de suite le chariot au supermarché et les cabas où c’est le moins cher. La retraite principale sert à payer les charges : téléphone, gaz, électricité, eau, impôts, mutuelle, assurance, loyer, traite de maison. Toutes ces petites choses qui sont utiles au quotidien.

Pour les moins riches, il reste un peu d’argent pour aller jusqu’à le fin du mois et se faire des petits plaisirs.

Pour les plus pauvres, à partir du vingt du mois, ils vont à la banque alimentaire où on distribue des pâtes et des pommes de terre. Ils vont aussi dans un grand restaurant « Les Restos du Cœur » ça s’appelle, un bien joli nom, vous trouvez pas ? Et la fin du mois arrive et ça recommence.

Pour les salariés, la paie arrive le 30 et pour le pouvoir d’achat, c’est pareil.

Pour les chômeurs, c’est pareil, mais eux c’est moins marrant : on leur a pris leur travail et en plus, il faut qu’ils continuent à pointer. C’est bizarre quand même, on les met à la porte et après on leur demande ce qu’ils font de leur mois.

Les sujets devenus flâneurs ont pas de charges à payer et l’hiver, y a des bénévoles qui leur distribuent du vin chaud et de la soupe : c’est leur chauffage.

Ils installent des bivouacs un peu partout et vont aussi aux Restos du Cœur. Mais eux ils font ça toute l’année, c’est des vrais flâneurs et on les appelle les SDF.

Y en a qui perçoivent le Revenu de Secours Amical, ou RSA si vous préférez. C’est juste un don pour pas les laisser sans rien mais pour qu’y restent pas des flâneurs toute leur vie, mais ça a pas beaucoup d’effet parce qu’y sont de plus en plus nombreux.

Et puis, y a une catégorie de gens qui ont plein de sous, qui font travailler les autres et qui sont toujours partis en vacances à l’étranger pour user leur yachts, leurs avions privés, leurs villas un peu partout dans le monde. Ils viennent loger dans des hôtels luxueux des Champs Elysées et y parlent pas aux randonneurs. La dernière fois que les randonneurs ont voulu leur parler sur les Champs Elysées, ils se sont disputés. Je le sais, j’y étais. Je l’ai écrit à votre collègue, le Ministre de l’Intérieur.

Les randonneurs, les policiers et les cagoulés ont tout cassé : les belles vitrines, les pavés, les voitures et même l’Arc de Triomphe à pris des gnons. Bon, il est solide, il s’en remettra, c’est ce que j’ai dit à Loulou, mon neveu. Il était pas content et depuis, il est morose.

Donc, si j’ai bien compris, le pouvoir d’achat, c’est juste une question d’organisation.

Seulement voilà, l’Etat arrête pas de demander de l’aide aux moins pauvres pour donner à ceux qu’y n’ont rien et à ceux qui ont tout, alors les réserves des moins pauvres fondent comme neige au soleil et celles des pleins de sous augmentent sans que les plus pauvres trouvent une amélioration.

Vous avouerez qu’y a quelque chose qui va pas. Ces sous, y vont bien quelque part !

Voilà ce que je vous propose : demain c’est mardi et je vois Loulou. Il me paie le restaurant tous les mardis et on discute. Lui, comme il a des copains chez vous, il va m’expliquer comment fonctionne le gouvernement et je vais réfléchir à la situation et je vous écris une lettre bientôt pour vous aider à trouver une solution au pouvoir d’achat des Français. Je suis sûr qu’il y en a.

A bientôt Monsieur Le Ministre.

Sylvestre