Philosophie des voyelles

Et voilà, nous y étions : Anatole, les yeux au plafond, l’air inspiré, cherchait ses mots et mâchouillait le bout de son crayon. Incrédule, il fixait la feuille remise par l’instituteur.

Aujourd’hui, c’était rédaction. D’habitude, le sujet était banal. Les mêmes thèmes revenaient, invariables et prévisibles. Mais d’où sortait-il ce sujet le maitre ?

Quelle idée l’avait chatouillé cette nuit pour demander aux élèves de trouver cinq verbes commençant par chacune des voyelles pour écrire un texte ?!

Heureusement, il n’avait pas eu l’idée « sotte et grenue » de demander le Y. Parce que Anatole ne connaissait qu’un seul verbe commençant par un Y et ce n’était pas français et en plus, il ne savait pas l’écrire.

Anatole se cala sur sa chaise, posa sa tête sur son poing et écrivit :

« A, comme… Abolir. » Tiens, ça c’est bien : abolir les rédactions et les jours d’école et… La liste était longue et à risques pour ses oreilles.

« E comme… Éclabousser ». Ça, c’est chouette : sauter à pieds joints dans une mare d’eau quand Monsieur le Curé passe en lisant son bréviaire. Si j’écris ça, je suis bon pour une leçon de catéchisme supplémentaire. Faut pas l’écrire, surtout pas !

« I comme…Infuser. ». Oh oui, comme le jour où j’ai mis la potion de Mémé à infuser dans la tasse de la Comtesse qui nous avait invités à boire le thé. Elle s’est affalée sur le divan. Elle ronflait si fort qu’on a du fermer la porte en partant. Seulement, si je raconte que j’y suis pour quelque chose, je suis bon pour aller curer les clapiers et franchement ça pue tellement que s’en est inhumain.

« O comme…Oublier. » Comme le jour où j’ai oublié Valentine dans la cave et qu’on l’a cherchée pendant des heures dans tout le village et que Papa a du prévenir les gendarmes. S’ils savent que j’y suis pour quelque chose, j’ai droit au grattage des boyaux de cochon et c’est pas mieux que les clapiers !

« U comme…Unir ». Comme, comme…Ben, j’en sais rien. Uriner aurait été mieux, mais comme les autres rigolent, je crois qu’ils y ont pensé avant moi. Qu’est ce qu’on peut unir ?

Si c’était l’union, je citerais Pépé qui dit toujours : «  L’union fait la force et l’oignon fait la soupe ». Ça, c’est du concret.

Anatole se rongeait les neurones tout en écrivant. Et ses pensées cheminaient : Non mais, il est farfelu le maitre. C’est un exercice pour atelier d’écriture ça et il se le promit : après le certificat d’études, il était hors de question de s’abimer le cerveau avec des mots !

Terminé les jeux de mots : quand on se rend compte des maux que produisent cinq lettres dans la tête, le mieux est de les éviter tous.

Anatole mit un point final à la dernière phrase, posa sagement son porte-plume en attendant que le maitre ramasse les copies.

Voilà, c’était fait et soudain, Anatole eut une bouffée de chaleur : Pourvu que le maitre n’ait pas l’idée loufoque de renouveler l’exercice avec… les consonnes !

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Le consigne est dans le texte...