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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Episode 23 Sylvestre et les mots nouveaux

Episode 23 Sylvestre et les mots nouveaux

Monsieur le Ministre de l’Ecole,

 

J’ai déjà écrit une fois à votre collègue de la culture au sujet des mots, mais je sais pas si c’était à lui que je devais m’adresser. Alors aujourd’hui, je vous envoie un petit mot pour vous raconter ma mésaventure.

Voilà, c’était au mois de mars : Arthur, le maire avait organisé une réunion publique pour expliquer son programme parce qu’il se présentait à sa réélection.

Donc, ce soir-là, je me rends sur les lieux de la réunion avec Diogène, mon épagneul.

Quand je suis arrivé, c’était déjà commencé mais comme il y avait une place de libre au dernier rang, je m’assois et Diogène s’allonge à ma gauche comme d’habitude.

D’abord, j’ai été un peu surpris : dans le fond de la salle, les membres de la liste étaient tous bien rangés et assis, sages comme des images, attentifs et muets.

En face, se tenait le public. Bon y avait plein de gens que je connaissais pas. Comme je fais pas le tour de mon village tous les jours, je peux pas connaitre les nouveaux arrivants. Et puis tout au fond, il y avait quelques personnes que je connaissais.

Bref, j’écoute et…je m’endors. Tout d’un coup, Diogène sursaute et me réveille et j’entends juste :

  •  ….tique. Je me secoue et je me rendors et puis Diogène sursaute à nouveau et j’entends
  • ….tique.

Alors j’ai compris : Diogène, il aime pas les mots qui finissent par tique !  Ça lui rappelle des mauvais souvenirs. A la maison, il regarde jamais les informations à cause de ça : informatique, touristique, numérique, systématique… Il supporte pas.

Je lui caresse la tête pour qu’il se calme et quand même je fais un effort pour écouter. Arthur, je l’aime bien, c’est un homme charmant mais il est pas fait pour les monologues. Et dans la salle, il y avait un de ces silence !

Et d’un seul coup, il se met à perler « des problématiques ». C’est quoi ça ? que je me demande.

J’ai fini par partir parce que Diogène s’était mis les pattes sur les yeux pour plus entendre et comme il commençait à gémir, valait mieux qu’on parte et qu’on laisse tous ces gens à leur soirée.

Le lundi suivant, j’allais chez Mademoiselle Marianne, mon institutrice et je lui racontais mon aventure. Elle a bien ri.

  • Cela s’appelle un néologisme. Un mot nouveau.
  • Ah bon !
  • Oui, c’est un mot ou une expression nouvelle que tout le monde va utiliser pour dénommer un phénomène nouveau, par exemple comme les néo-ruraux : les citadins qui quittent la ville pour venir vivre à la campagne. Comme les Séniors, pour désigner les personnes âgées. Et puis, il y « Chronophage », très à la mode pour dire que cela demande beaucoup du temps.
  • Oui, rien que de penser le mot, ça en prend ! Et la problématique ?
  • C’est d’abord un adjectif pour désigner ce qui pose un problème. La problématique est un terme scientifique utilisé pour désigner un ensemble de problèmes liés à un sujet.
  • Donc, si je comprends bien, on crée des mots savants pour désigner des choses simples qui ont déjà un mot simple pour les désigner.
  • Tu as tout compris !
  • Et après ça on dit des vieux qu’ils comprennent rien… Qu’il faudrait qu’ils passent des tests pour la mémoire et portent des appareils auditifs.
  • Tu n’as pas tort, déclara Mademoiselle Marianne avec amusement.
  • Eh donc, Arthur, il a plein de problèmes à résoudre ?
  • Eh oui !

Et vous savez pas ce qu’elle m’a appris Mademoiselle Marianne ? Qu’en France, on a même réussi à créer des mots anglais qui n’existent même pas en Angleterre ! Faut le faire quand même : qu’est-ce qu’on a besoin d’aller chercher des mots ailleurs alors qu’on en a plein chez nous ?

Quand je suis parti, j’étais très perplexe sur le monde d’aujourd’hui. Je suis pas allé à l’école longtemps, mais je me souviens qu’à cette époque, les problèmes qu’on avait à résoudre avaient tous une solution même s’il fallait se gratter la tête.

Evidemment, aujourd’hui qu’est-ce que ça peut faire qu’on sache à quelle heure vont se croiser les trains, puisqu’ils disparaissent. Compter les stères ça sert plus à rien puisqu’on ne veut plus se chauffer au bois et dès qu’un robinet coule mal, on est taxé, alors on le ferme.

Mais on avait pas autant de problèmes de communication : pas de téléphone chez les particuliers, pas de télévision, pas d’ordinateur mais un garde -champêtre qui annonçait l’essentiel avec des mots simples. Bref, on parlait moins. Et on avait autre chose à faire que créer des mots dont on allait pas se servir alors que d’autres faisaient la même affaire. Nous, on était pas dans la consommation.

Et si les gens qui sont allés à l’école sont pas capables d’utiliser les mots comme il faut, je m’étonne pas que les formulaires administratifs soient si tordus !

Et puis, dites donc si moi je m’y mettais à écrire avec mes mots, je voudrais bien voir leur tête.

Parce que mes mots à moi, ils sont bien français, ceux de Victor, de François Marie, même ceux de Jeannot.

 Eux ils préfèrent « résoudre » un problème que le « solutionner » parce qu’ils savent conjuguer le verbe. Ils clôturent leur jardin mais closent un sujet. Ils vont dans une boutique bien approvisionnée mais pas « achalandée ». Ils n’emploient pas naguère pour dire il y a longtemps.

 Ils n’investissent pas la maison mais l’envahissent. Parce que ça, Monsieur Le Ministre, ça nous a été fatal en 1940 : le temps qu’on comprenne que les Allemands avaient fait le tour de la ligne Maginot, ils avaient investi la plage de Dunkerque et juste après c’était l’invasion ! Comme quoi se tromper de mot, ça peut engager notre avenir !

Ils ne disent pas de quelqu’un qu’il est « mortellement blessé » mais qu’il est mort.

Ils savent qu’on amène quelqu’un et qu’on apporte une chose et qu’un gendarme verbalise mais « n’amende » pas (Surtout François Marie !). Amender, c’est rendre meilleur et reconnaissez que c’est pas en leur mettant des prunes qu’ils vont s’amender !

 Un élu devrait savoir qu’on commémore un évènement et qu’on fête un anniversaire !

Et surtout, Monsieur le Ministre, il faudrait apprendre aux sportifs que quand il n’y a qu’un seul tour, il est forcément unique. Toute cette redondance, ça use de l’encre et du papier et si j’ai bien compris, il faut ménager la planète. Alors commençons par utiliser les mots simples et économiques qui existent pour que tout le monde comprenne !

 

Sylvestre

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