Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Sortie en ville Episode 7

Sortie en ville Episode 7

Comme tous les premiers et troisièmes vendredis de chaque mois Charlotte, Amandine, Merveille et Madeleine abandonnent Combes sur Bouillon pour se rendre à la « Grande ville » : Bouillon le Chatel !

Cette expédition rime avec évasion, indiscrétions, commissions, mais surtout tractations.  

A neuf heures tapantes, leur Peugeot 308 est avancée et arrêtée au milieu de l’impasse. Charlotte qui est la conductrice du jour referme le portail et monte dans le véhicule, le fait ronronner et d’un grand coup d’accélérateur voilà la fratrie Tardby propulsée vers une nouvelle aventure.

  • « Par la corne de la licorne brinquebalée, je prendrai le volant au retour, affirme Merveille. »
  • « Oh ça va, Mademoiselle La Merveille… » maugrée l’ainée.
  • « Hum, on ira au Mystère Gourmand comme d’habitude. » interrompt Amandine qui sent une certaine animosité dans la voix de ses deux sœurs.

Arrivée au centre-ville, la voiture prend la direction du parking souterrain sous la place de la mairie. Elles sortent directement dans la zone piétonne devant la devanture bordeaux et or du traiteur. Elles s’extasient devant ses propositions alléchantes qu’elles aperçoivent derrière les vitrines. Elles rentrent dans le magasin au pas de charge sous les regards alarmés de Madame et Monsieur Delcourt qui se souviennent trop bien de leurs précédents passages.

  • « Bien le bonjour Mesdames, quel plaisir de vous revoir… » commence mielleusement Madame Delcourt.
  • « Bonjour ! Nous venons pour notre commande bimensuelle. Nous avons regardé par la vitrine et nous avons vu tant de belles et bonnes choses que nous hésitons beaucoup. Peut-être que vous pourriez nous aider dans notre choix ? »
  • « Bien entendu Mesdemoiselles Tardby, tout le plaisir sera pour nous, intervient le traiteur flatteur.
  • « Voyez-vous Monsieur Delcourt, vos créations sont tellement alléchantes… Nous hésitons… Pourrions-nous goûter pour être sûres de notre sélection ? suggère Amandine

Voilà qu’elles recommencent leur cinéma comme toutes les fois précédentes pense Monsieur Delcourt

  • « Euh ! Mesdemoiselles…
  • « Moi je préfèrerais un plat de poisson et toi Merveille ? questionne la petite dernière.
  • « Moi je serais plutôt pour de la viande, tu le sais bien, nom d’un Troll baveux et empuanti, le poisson je n’aime pas… ça cocotte. »
  • « Monsieur Delcourt… Nous pourrions nous installer dans ce petit coin, nous saurons être discrètes. » insiste Charlotte.
  • « Que voulez-vous goûter ? » demande Madame Delcourt excédée par leurs diableries.

Chacune des sœurs choisit une spécialité parmi toutes les propositions du traiteur. Celui-ci déconfit par leurs fourberies et leur sans-gêne préfère s’éloigner de ces quatre mégères et laisser son épouse gérer la crise.

  • « Je vais vous demander un petit moment pour vous préparer un plateau avec vos choix Mesdames. Je vous l’apporte dès que tout sera prêt… Voulez-vous vous installer plutôt par ici ? leur propose-t-elle en les amenant dans l’arrière salle, bien à l’écart du lieu de vente pour que leurs manigances ne donnent pas l’idée saugrenue aux autres clients de tester leurs produits.

Bien installées, elles dégustent et commentent la collection des mets choisis.  Comblées et repues par leur dégustation les quatre sœurs retournent près de Madame Delcourt pour passer leur commande.

  • « Madame Delcourt, clame Charlotte, nous avons été enchantées, un régal pour nos papilles, j’en suis encore toute émue. Nous allons passer commande… »
  • « Mesdemoiselles Tardby, cela a été un réel plaisir pour nous de vous recevoir et de pouvoir répondre favorablement à vos demandes, répond la commerçante hypocritement. Alors, allons-y… Que souhaitez-vous ? demande-telle en prenant son cahier de commande et s’armant de son stylo. Je vous écoute. »
  • « Vous me certifiez que vos plats peuvent être congelés ? demande Charlotte. Bien, alors, après réflexion et ce pour quatre parts à chaque fois, mettez-nous : des lasagnes, de la choucroute royale, de la paëlla…
  •  « …Olé ! Muchachas » s’esclaffe Merveille.
  • « Chut ! reprend Charlotte, des rognons sauce moutarde à l’ancienne, du chili con… »
  • « En guise, en guise, en guise de parasol. Ay ! Ay ! Ay ! » interrompt de nouveau Merveille sur l’air de la chanson « Le Mexicain » de Marcel Amont.
  • « Veux-tu bien te taire ! Madame Delcourt on continue, je disais du chili con carne, des tripes à la mode de Caen, de la blanquette de veau et pour finir de l’osso bucco… »
  • « O sole, o solemio, se remet à chanter Merveille imitant un joueur de mandoline.

Amandine se saisit de l’effrontée et la sort manu militari du magasin laissant l’aînée terminer la commande.

  • « Et voilà ricane Madeleine, en sortant du magasin. C’est un peu grâce à notre père que nous sommes devenues des expertes en négociations. Tu as même obtenu la livraison gratuite et une ristourne de quinze pour cent, Charlotte. Notre père aurait été fier de toi. Il nous a assez répété qu’il avait appris à marchander lors de son séjour en Algérie.
  • « C’est vrai qu’il nous a bassiné en ressassant ses histoires d’appelés sous les drapeaux pendant la Guerre d’Algérie reconnaît Charlotte.
  • « Oui, même moi, la petite dernière, je m’en rappelle. Il a dû faire trente mois de service militaire obligatoire. A son arrivée à Oran, il a été retiré du maintien de l’ordre et a été missionné pour l’alphabétisation des indigènes… »
  • « Maintenant que tu le dis, je me rappelle intervient Amandine. Il disait que les locaux, l’appelaient respectueusement « Monsieur le soldat-instituteur ».
  • « Revenu de là-bas, notre père a imposé à notre mère la pratique du marchandage. La pauvre, elle lui était si soumise, reprend l’aînée. Chez lui c’était de l’avarice ! Vous vous rappelez quand il nous offrait une pièce. C’était plutôt rare. Il n’oubliait pas de nous dire en nous la tendant « sachez utiliser cet argent à bon escient, pas de ces frivolités que vous seules les filles pensez indispensables. Sachez en avoir plus pour moins… »
  • « Saperlipopette !  Notre père était un pingre… Et notre mère une bénie oui oui ! Arrêtons de ressasser ces moments-là ! Voyons le bon côté des choses : Nous sommes de vraies femmes d’affaires et en plus nous prenons plaisir à tourmenter certains. Par les mille gargouilles envoutées,  laissons le passé au passé. » tranche Merveille.

Les quatre sœurs traversent la grande place centrale et vont vers « La vie de châteaux » la cave à vins de Bouillon le Chatel.

  • « Bonjour Monsieur Cornet, comment allez-vous ? s’exclament Charlotte, Amandine, Merveille et Madeleine, d’une même voix tapageuse.
  • « Mesdemoiselles Tardby ! Quel plaisir de vous voir ! J’attendais avec impatience votre venue. Comment allez-vous ? Que puis-je pour vous ?
  • « Mes sœurs, laissez-moi parler un peu intervient Amandine, c’est à moi maintenant de passer commande »
  • « Mais… » grogne Charlotte
  • « Charlotte je t’ai laissée faire chez les Delcourt ; c’est à mon tour ! » Incite Amandine
  • « Elle a un peu raison, Charlotte, laissons Amandine gérer cette commande, suggère Madeleine qui baisse le ton pour dire à mi-voix, nous n’avons jamais eu à nous plaindre de sa façon de mener les affaires. »
  • « Je te remercie Madeleine. Monsieur Cornet, reprend Amandine, c’est un plaisir pour nous aussi d’être là.
  • « Comme d’habitude, il va vous falloir des vins sans trop de personnalité pour qu’ils s’accordent avec la plupart des plats que vous livreront les Delcourt. Ils doivent être excellents, bien entendu et d’un prix défiant toute concurrence ?
  • « C’est cela ! » susurre Amandine. « J’ai une petite soif… » ajoute-t-elle en se retournant vers ses sœurs et ce suffisamment haut pour que Monsieur Cornet entende sa réflexion.
  • « Mesdemoiselles Tardby, je ne peux pas vous faire goûter à tous les vins que je vais vous conseiller, mais j’ai une idée, que diriez-vous d’une coupe de champagne … »
  • « Oh ! Oui, ce serait bien agréable, du champagne… Quelle charmante attention Monsieur Cornet ! s’exclame Amandine. Monsieur Cornet ; du brut de préférence pour nous trois, mais, si c’est possible, dit-elle d’un être gêné, du champagne rosé pour ma sœur Charlotte… Elle préfère. »

Les deux bouteilles sont bues pendant que Monsieur Cornet raconte les derniers potins de Bouillon le Chatel et même quelques échos forts intéressants qui viennent de Combes sur Bouillon. Amandine n’oublie pas de demander la livraison gratuite mais aussi la discrétion absolue lors de celle-ci. Au moment de sortir du magasin, hypocritement aimable elle s’extasie devant de petites fioles de verre joliment décorées contenant des fruits à l’eau de vie. Le commerçant ne peut résister à ses minauderies et lui offre quelques fioles… 

  • « Pour agrémenter vos soirées » dit-il.
  • « C’était parfait Amandine s’écrie Madeleine sur le trottoir.  Vous pensez que c’est vrai ce qu’il a dit sur Léon et La Margot ? Il n’y a pas de fumée sans feu… »
  • « C’est une fable ! Il n’oserait pas… » gronde Charlotte entre ses dents.
  • « Et cette histoire sur les fils Mouellic Tic et Tac… » gémit Merveille
  • « Des sottises ! Allons maintenant « Au Mystère Gourmand » intervient brutalement Amandine. Nous allons enfin nous reposer de cette matinée et de toutes ces négociations. Je suis exténuée et j’ai de nouveau une petite faim… Pas toi Merveille ? »
  • « Tu te moques de moi Amandine, réplique Merveille. Saperlipopette, j’ai une faim de goule, mon ventre n’arrête pas de grogner tel un marcassin qui a perdu sa mère. C’est avec plaisir que je vais me commander une grosse part de charlotte Belle Hélène. »
  • « Moi, ce sera des profiteroles. » dit Amandine
  • « Eh bien moi ce sera comme toujours, une double part de tiramisu et toi Charlotte tu prendras ton éternel Courchevel ? demande Madeleine.
  • « Oui très certainement. » répond brièvement Charlotte. Cette journée m’a épuisée.

Charlotte, Amandine, Merveille et Madeleine pénètrent dans le salon de thé, telles des walkyries montant à l’assaut d’une place fortifiée. Cette entrée tapageuse menée par une Charlotte impétueuse et insolente alerte les serveurs. Elles se dirigent résolument vers le centre de la salle pour rejoindre leur table de prédilection. Elles dépassent les premières tables aménagées dans de petites alcôves délimitées par de luxuriantes plantations pour offrir aux clients quelque intimité.

  • « Ouh là là, il y a beaucoup de monde aujourd’hui, nous allons être aux premières loges à notre table habituelle » déclare Charlotte en tournant la tête vers ses cadettes tout en continuant sa progression.

Les trois sœurs stoppent net leur avancée, ouvrent la bouche pour alerter Charlotte mais pas un mot ne sort. Elles écarquillent leurs yeux, suivent l’envolée de deux magnifiques coupes. L’une remplie de profiteroles et l’autre d’une épaisse et onctueuse crème au chocolat noir. Elles suivent la courbe ascendante de celles-ci et leur chute inéluctable après un retournement dans les airs. Seule, Charlotte ne voit pas la catastrophe arriver. Les trois sœurs ferment les yeux au moment de l’impact. Elles imaginent le grand guignol de la situation, un timide sourire nait sur leurs lèvres pour se transformer en rictus afin d’éviter de finir en un fou rire incontrôlable. Elles entrouvrent les yeux, arrondissent leur bouche sur un « oh ! » horrifié en découvrant le tableau.

  • Oh ! Ma pauvre Charlotte… gémit Amandine
  • Oh ! Par la barbe de Merlin entarté… s’écrit Merveille mi consternée et mi hilare.
  • Oh ! Ma pauvre Charlotte, je suis désolée… » pleure Madeleine en se précipitant auprès de sa grande sœur pour l’aider à se débarrasser des profiteroles qui restent collés à sa tête et de ceux qui glissent lentement sur ses épaules et le devant de son manteau en laissant derrière eux des traces comme les escargots sur les pierres du jardin.

Le spectacle est là ! Pas d’indifférence parmi les clients et le personnel. Certains semblent affligés, les autres n’éprouvent aucune compassion, mais plutôt de la jubilation. « Le malheur des uns fait le bonheur des autres ».

Profitant de toute cette agitation, deux silhouettes s’éloignent subrepticement et s’échappent par l’arrière salle. Madeleine tourne la tête, cligne des yeux pour balayer les larmes qui s’y trouvent. Elle reconnaît la belle chevelure argentée de Léon et les boucles folles et dorées de La Margot. Elle ne dit mot, ce n’est vraiment pas le moment. Pauvre Charlotte si elle savait…

Cette expédition ne rime plus qu’avec déception, lamentation et humiliation.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article