Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Sortie nocturne épisode 4

Sortie nocturne épisode 4

 

Il fait bien noir en cette nuit sans lune et sans éclairage public. L’extinction des feux à 23 h, c’est une décision du conseil municipal pour des raisons économiques mais surtout écologiques. Sujets « tendance » comme disent les Parisiens qui viennent en villégiature au bourg. Ces mesures écologiques, les sœurs Tardby sont loin d’être convaincues de leur utilité aussi pour elles, pas de tri ! Les bouteilles de vin vides partagent l’univers des cartons d’emballage, des déchets alimentaires et autres détritus. Tout finit au même endroit, dans des sacs plastiques noirs aux volumes impressionnants.

En cette nuit d’encre, alors que la tempête s’éloigne, seuls les animaux trouvent leur bonheur. Les villageois se claquemurent dans leur maisonnée à l’abri des bourrasques qui ne faiblissent pas. Soudain un grincement, un crissement métallique et un léger tintement viennent troubler la sérénade des ténèbres avoisinantes. Une petite lueur or anime le tableau ardoise. Elle sautille et glisse, avance en chuchotant d’étranges chuintements. Quatre ombres se dessinent sur les murs des maisons.

Vous avez deviné bien sûr… Ceux sont nos quatre sœurs Tardby ; elles sont de sortie.

Étrange… Baguenauder en pleine nuit, ce n’est pas commun. On les voit à peine avec leurs vêtements sombres, ce n’est pas très prudent, mais parfait si elles veulent passer inaperçues. Elles semblent chargées et progressent à la queue leu leu en direction de la place du village.

  • « Amandine, dépose ton sac ici ; soulève le dernier et mets le tien en dessous. La mère Moinot n’y verra que du feu, en plus elle se lève plutôt tard, c’est une sacrée paresseuse, celle-là. » chuchote Madeleine.

Elles reprennent leur discrète progression, puis sur ordre de Merveille elles s’arrêtent devant la boulangerie-épicerie des Frigonnet.

  • « Saperlipopette, nom d’un troll empuanti, je vais mettre le mien dans leur poubelle, ça lui apprendra de nous vendre du pain trop cuit qui me blesse les gencives ; ils n’y verront que du feu. Madeleine, on dit « du bleu » et non « du feu…  Elle n’y verra que du bleu la Mère Moinot ! »
  • « Tu en es sûre ? Je crois que… »
  • « Vous croyez vraiment que c’est le moment de discuter vocabulaire. » gronde Charlotte,

Silencieusement, les quatre sœurs reprennent leur cheminement vers l’école.

  • « Saperlipopette, nom d’une biquette maraboutée, j’ai une idée Charlotte, laisse tes paquets chez la Mère Laniesse. Quand je pense que Monsieur le curé lui permet de lire le Livre Saint à la messe. Enfin quand je dis « lire », c’est un bien grand mot, elle ânonne plus qu’elle ne lit. Pauvre femme ! Ses parents l’ont mise au travail très tôt. Fille de ferme qu’elle était. Mariée au poivrot Anatole le valet, mort d’une cirrhose, pour sûr. En plus, elle est sotte. J’aimerais être une petite souris demain, quand les éboueurs trouveront toutes ces bouteilles dans sa poubelle verte. Ils refuseront de la vider et elle aura beau dire : « Mais ce n’est pas à moi, je ne bois pas. C’est quelqu’un qui s’est débarrassé de ses bouteilles... » Personne ne la croira, foi d’une licorne maligne. Le ton va monter et comme elle crie plus qu’elle ne parle, tous ses voisins entendront l’altercation. Dans la journée la rumeur de son addiction à l’alcool fera le tour du village. » déclare Merveille, se réjouissant par avance.
  • « Monsieur le Curé ne pourra plus la choisir comme lectrice avec cette réputation de saoularde. » assure Charlotte, pour une fois d’accord avec sa cadette.
  • « T’aimes pas la Mère Laniesse, Merveille ? demande Madeleine
  • « Par la magie noire du Troll malin, en voilà une question. J’ai à tire larigot des copines et copains que je n’aime pas, pfff… Poussons jusqu’à la cantine de l’école, pour notre dernier sac, ainsi tu pourras enfin te débarrasser de ton barda, ma chère Madeleine ».

S’éloignant des lieux habités et pensant qu’elles ne risquent plus d’éveiller la curiosité de leurs concitoyens, elles se mettent à converser plus librement.

  • « Faudra songer la prochaine fois à changer notre itinéraire ; pourquoi ne pas faire un petit tour vers les Robois et la Margot ? » suggère Charlotte
  • « Oui, tu as bien raison, on pourrait découvrir certaines choses et surprendre les visiteurs de la nuit de la Margot. » dit Amandine. Je saute du coq à l’âne, mes sœurs, vous vous rappelez, les colères noires de notre père ? Quand certaines nuits, il nous enfermait dans la cave, sans lumière parce que nous avions fait quelques sottises ou seulement quelque chose qui lui déplaisait dans la journée… C’est peut-être grâce à lui que nous n’avons plus peur du noir et que nous sommes là ce soir. On doit le remercier au moins pour ça !
  • « Le remercier ? Tu oublies ce qu’il nous a fait subir. » Intervient vivement Charlotte
  • « Avez-vous fait attention à ce que vos poches plastiques et leur contenu soient anonymes, il ne faudrait pas qu’on découvre les coupables de ces dépôts sauvages. » intervient Madeleine voulant changer de sujet.
  • « Pas de souci, j’ai tout vérifié. Nous avons trouvé là une bonne solution à nos problèmes domestiques. Nous vidons nos poubelles sans dépasser le nombre de ramassages du forfait annuel imposé par la Mairie et en plus nous emmouscaillons certains qui vont voir leurs poubelles refusées. Jamais je ne pardonnerai à notre père ! » décrète Charlotte.

Les voilà arrivées devant l’immense container de la cantine. Elles soulèvent le lourd couvercle rabattu par le vent violent, quand soudain s’échappent des profondeurs trois furies poilues, feulant et égratignant tout ce qui se trouve à leur portée.

  • « Haaaa ! Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est ? Nous sommes attaquées ! »
  • « Hiiiii ! Saperlipopette ! Par le cornu et puant troll, nous sommes agressées, sauvons-nous ! »
  • « Les suppôts de Satan ! Des chats ! Qui les a mis là ? »
  • « Nom d’une licorne enfumée ! Ne parle pas de Satan ! Ne blasphème pas. »
  • « Haaaaa ! Hiiiiii ! Ne la ramène pas toi !  Tes expressions hautes en couleurs, ton vocabulaire en fait frémir plus d’un ! Aïe ! Vois, ce maudit chat, il m’a griffée, il s’agrippe à mes cheveux. Sauvez-moi mes sœurs ! »
  • « Nom d’un Troll aviné, tiens attrape ça, sac à puces…  Sauvons-nous d’ici et vite, avant qu’on nous envoie la maréchaussée. »

Leurs exclamations fusent sans retenue, elles oublient toute prudence. Voilà les quatre harpies toutes gesticulantes et maudissant Pierre, Paul et Jacques ; sans oublier Monsieur le Maire et ses décisions écologiques.

  • « Par Merlin l’enchanteur, taisez-vous ! Je vois une lumière, quelqu’un vient par ici. Cachons-nous ! » lance Merveille
  • « Où se cacher ? On ne voit rien ! » s’inquiète Amandine
  • « Par les mille et une gargouilles, nouilles que vous êtes, taisez-vous et suivez-moi. Allons aux toilettes publiques c’est juste à côté, il y fait noir comme dans un four. » suggère Merveille tirant ses sœurs derrière elle.

Elle s’y engouffre la première, suivie des trois autres qui la bousculent dans leurs précipitations aveugles. Le petit espace empeste l’urine et les matières fécales ; le sol est glissant. Elles se poussent, s’écrasent, se marchent sur les pieds, se donnent des coups de coude. Elles refrènent leurs cris de douleurs. Charlotte ferme la porte et fait glisser silencieusement la targette. La lumière s’approche.

Plouf ! Plouf ! 

  • « Oh ! Par l’étron puant du troll, quelle horreur ! » gémit Merveille
  • « Tais-toi » lui intime trois voix.

Bien entendu, ces trois-là n’ont rien vu, pense Merveille en sentant ses chaussures se remplir d’une matière gluante provenant des toilettes à la turque. Quelle poisse !

La lumière passe devant leur cachette et s’éloigne, alors qu’une voix masculine reconnaissable fredonne :

« Charlotte, Amandine, Merveille, Madeleine,

Pourquoi tant de haine ?

Madeleine, Charlotte, Amandine, Merveille

Votre excuse, si j’en crois les rumeurs, est la bouteille.

Merveille, Madeleine, Charlotte, Amandine

Alors un modeste conseil : arrêtez la bibine !

Amandine, Merveille, Madeleine, Charlotte,

Vous ne serez que moins méchantes linottes. »

 

Il fait bien noir en cette nuit sans lune et sans éclairage public. Tout redevient paisible et mystérieux. Charlotte, Amandine, Merveille et Madeleine retournent chez elles honteuses, furieuses et pour une fois silencieuses. Elles ont reconnu la voix du « beau » Léon, le félon.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article