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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Le Mur

Voici une nouvelle policière que je vous offre de découvrir sous forme de feuilleton.

Voici une nouvelle policière que je vous offre de découvrir sous forme de feuilleton.

 

 

Chapitre 1

 

Le printemps pointe le bout de son nez et Thelma aussi. Elle a passé l’hiver cloîtrée chez elle devant l’offensive inattendue du froid dès fin novembre.

La maison qu’elle habite témoigne d’un autre temps. Seule l’antenne satellite, insolite dans la cour rustique, dénonce le vingtième siècle.

La petite maison aux murs robustes est sûrement née au dix-neuvième siècle, peut-être avant. La mémoire des hommes raconte qu’à une époque lointaine, elle avait été habitée par les aïeux de l’actuelle propriétaire.

Thelma est une grande femme charpentée à la démarche lourde. Elle arbore un chignon soigné. Son allure active, malgré son âge, dénote sa volonté et sa ténacité. Elle épate tout le monde par sa vivacité comme si une force invisible la guidait.

Elle habite sa maison depuis longtemps maintenant et on ne se souvient plus quand elle y est née. Toute sa vie se lit là, dans sa maison dorlotée et le potager soigné.

Les années ont effrité la demeure et le bâtiment accolé s’effondre. Seul le potager, vital, résiste aux intempéries.

La sœur de Thelma, Hélène, s’est vite sauvée après la mort de leurs parents, fuyant une vie sans surprise et laissant Thelma seule. Thelma s’est fanée comme une fleur à l’automne.

Malgré tout, elle a mis deux enfants au monde, presque seule. Le village a failli s’étrangler de rage devant le scandale car Thelma est demoiselle et les petits bâtards n’ont pas de père inconnu… Puis eux aussi sont partis. Le temps a nettoyé l’outrage, le père des enfants a déménagé et Thelma s’est usée tranquillement dans la maison qui s’abime inexorablement.

            A côté d’elle vit Juliette. Son amie d’enfance, son amie de vie, jamais elles ne se sont séparées. Juliette est une toute petite bonne femme dodue aux cheveux de neige.

Qui l’aurait vue enfant, l’aurait sans conteste reconnue. Elle ne change qu’au fil de sa vieillesse épanouie qui souligne ses traits physiques. Son visage rustique ne l’a pas épargnée : elle est restée célibataire, sans contester. Elle s’est mariée avec sa maison, ses fleurs, ses livres et ses chats.

  Un long mur sépare la maison de Juliette et de Thelma. Depuis l’enfance, elles utilisent un escabeau disposé au pied du mur et quand elles désirent bavarder un peu, chacune de son côté grimpe sur les petites marches et se trouvant face à face passent là un moment ensemble. L’hiver, quand le temps est trop froid, elles se reçoivent chez elles suivant le bon vouloir de Thelma qui préfère l’escabeau.

Juliette est sa seule amie. Au regard souriant de Juliette, Thelma offre un regard sournois, fuyant. Sa démarche, la tête courbée cachant ses yeux n’inspire pas à l’approche. Sa voix rauque, désagréable trahit une parole rare et autoritaire.

Juliette, quant à elle, discute facilement et pour s’extraire de son isolement, se promène longuement chaque jour à la recherche d’un interlocuteur et revisite son village. Thelma ne sort que pour le strict nécessaire. Juliette l’a toujours connue ainsi, aussi pense-t-elle que sa seule compagnie lui suffit.

Juliette n’a qu’un reproche à exprimer contre Thelma : le mur.

Elle a vainement essayé de la convaincre de percer une porte, tout au bout, pour mieux se rencontrer chaque jour. Au bout du mur, la porte se serait à peine vue et puis, elles ont passé l’âge de monter sur ces escabeaux !

Mais Thelma fronce les sourcils, dit non, descend de l’escabeau et rentre chez elle, agacée. Juliette soupire, descend de l’escabeau et rentre chez elle, chagrinée.

            A la fin de l’été dernier, Thelma a dû se résoudre à faire des réparations pour rénover la toiture de sa maison. Dérangée dans ses habitudes, elle ne vit plus. Elle surveille les ouvriers, les suit, les questionne en serrant dans un geste machinal sa pèlerine sur ses épaules comme pour se protéger.

Paulo, le maçon chargé des travaux veut la rassurer, mais plus il l’observe, plus il s’irrite. La vieille femme n’est pas commode.

Il finit par apprendre grâce à l’antipathie bien fertilisée d’une voisine, Margot, quelques secrets de la vie de Thelma :

  • Il faut pas croire, mais Thelma n’est pas pauvre comme Job. Elle est allée faire le coucou dans le nid d’une autre. Deux enfants sont nés et elle a fait chanter le père. Puis tout s’est su, mais il était trop tard pour sauver les meubles. Le Monsieur a dû prendre le large. En plus, elle est accrochée à sa maison comme le lierre après un arbre.

Quand ses parents sont morts, elle a hérité avec sa sœur Hélène, du bien familial alors elle lui a volé dans les plumes.

Et puis, elle était jalouse de sa sœur, plus jolie qu’elle : petite, frêle au teint rose et à la démarche gracieuse. Tous les garçons avaient le béguin pour elle.

Un beau matin, Hélène avait mis les bouts : elle était partie avec une petite valise et on ne l’avait jamais revue. 

            Paulo réfléchit à l’histoire et en déduit que Thelma doit être bien malheureuse. Il termine ses travaux, nettoie bien la cour et s’en va. Thelma peut enfin respirer.

Elle a vu cette bavarde de Margot rôder près du mur et elle s’interdit de lui parler depuis bien des années. Elle fait le tour du potager, puis rentre chez elle pour hiberner.

La neige, le froid s’abattent sur la Brie et Thelma s’en moque, bien confortablement installée à l’abri.

            Alors, en ce matin de printemps revenu, elle se sent bien à respirer les premières violettes. Le nez en l’air, elle hume le fond de l’air.

Soudain, elle aperçoit Paulo, en haut du mur. Juché sur l’escabeau de Juliette, il l’observe en souriant. Après un bref salut, il explique qu’une infiltration d’eau a provoqué des dégâts à la base du mur chez Juliette et une énorme fissure apparait.

Connaissant la vieille dame, il veut la rassurer : les travaux ne dureront que quelques jours, il faudra juste déplacer les escabeaux qui reprendront vite leur place, il le promet. C’est alors que Juliette profite de l’aubaine pour proposer qu’on ouvre une porte.

  • Saisissons l’occasion : nos jardins communiqueraient. Fini les escabeaux !

Qu’en penses-tu Thelma ? 

Thelma jette son œil de biais et …cède :

  • Comme tu voudras dit-elle.

Paulo, satisfait, commence donc les travaux avec la diligence qui le caractérise.

Quelques jours plus tard, en sifflant une chanson napolitaine, il tape dans le mur, ôte les belles pierres meulières qui se détachent facilement, trop à son goût.

Puis soudain, son cœur s’emballe, la chanson se termine, une sueur froide dégouline dans son dos. Il appelle Petit Pierre son ouvrier et lui crie de téléphoner à la gendarmerie : Un squelette émerge des débris du mur.

 

A suivre...

 

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