Episode 18 Sylvestre et la Retraite

15 Janvier 2020

Monsieur le Ministre de la Retraite,

J’ai fait une découverte en voulant résoudre un problème simple. Je vous explique.

Cette année encore, j’ai eu un problème pour trouver un cadeau de Noël pour ma femme. Elle a des goûts simples, c’est pour ça qu’elle trouve pas ce qu’elle veut. Elle veut un pullover, sans capuche, avec un col normal, des manches longues sans trous, ni court devant et long derrière ou l’inverse et elle trouve pas.

J’en ai parlé à Loulou qui m’a dit d’aller aux Champs Elysées.

Ah non, j’ai répondu. Tu m’as conseillé ça l’année dernière et c’était la guerre là-bas. Je vais plus à Paris, c’est trop agité et ça pue !

Il s’est renfrogné, il aime pas qu’on dise du mal de Paris.

Si vas-y. C’est les vacances. Il n’y a personne dans les trains ni dans les rues, ils sont tous au ski ou en train de préparer le réveillon du jour de l’an. De toute façon, tu exagères, l’année dernière c’était juste une petite démonstration de mécontentement, mais c’est terminé.

Bon, je l’ai écouté et j’ai fait comme ça. Avant, je me suis quand même renseigné et j’ai appelé un copain cheminot pour lui demander les horaires des trains parce que ça change tout le temps et puis aussi parce que des fois y a des perturbations à la SNCF.

Tu peux y aller en journée. T’auras de la place. Y sont tous au ski. Mais faudra que tu prennes le train à Lagny ou trouve un car à Beautrou qui t’emmène à Chessy qu’il m’explique.
Pourquoi ?
Ben, parce que c’est les vacances,
Bon d‘accord.

Donc me voilà parti. Comme d’habitude je me suis bien habillé : un jean, mes bottines, ma casquette, un pull et mon gilet jaune par-dessus.

Comme de juste, quand je suis monté dans le train, y avait presque personne. Quelques fatigués dormaient tranquillement. Ils avaient pas bonne mine. L’air de la ville, c’est pas bon pour le teint.

Arrivé gare de l’Est, j’ai été surpris. Y avait plein de gens avec des gilets rouges et une casquette assortie. Ils souriaient à pleines dents. Un jeune homme s’est approché pour me renseigner sans que je demande rien, même si son sourire s’est effacé quand il a regardé mon gilet jaune. Mais quand il a su que j’étais tout seul, ça s’est arrangé.

J’en ai profité pour me renseigner sur la ligne de métro que je devais prendre et il m’a gentiment répondu en me précisant qu’il y en avait moins que d’habitude.

Pourquoi ? j’ai demandé
Ben, c’est les vacances.

Dites donc, ça s’est vraiment amélioré à la SNCF, pour un peu ce serait un vrai plaisir de prendre le train tous les jours !

Dans le métro, y avait pas plus de voyageurs que dans le train. Bref, le tapis rouge !

Quand je suis arrivé aux Champs Elysées, j’ai été surpris aussi : c’était tellement beau, illuminé, et de la place sur les trottoirs pour marcher, peu de voitures qui klaxonnaient. Et dans les magasins ouverts, pas de file d’attente. Alors, je suis entré dans un café pour en boire un : je n’avais que l’embarras du choix pour m’installer. Quand le serveur est arrivé, un peu nonchalant et aimable, j’ai eu un doute.

Je rêvais ou quoi ?

Alors, j’ai questionné le serveur qui s’est assis à côté de moi pour m’expliquer la situation.

Et c’est pas trop des vacances qu’il m’a parlé, mais de ce que vous étiez en train de concocter pour la retraite. Il était pas content, mais alors pas du tout et je dois dire que si vous m’aviez fait un coup pareil avant que je parte, je me serais fâché aussi.

En résumé, y avait des vacanciers qui avaient pu partir en vacances qui ont préféré ne pas s’occuper de la retraite, ceux qui galèrent pour aller travailler dont tout le monde n’en à rien à faire, ceux qui font grève pour dire leur désaccord et dont tout le monde n’en à rien faire non plus.

Les mieux vus, ce sont les vacanciers.

Quand je suis sorti, j’étais quand même étonné. Je me suis dépêché de trouver un pull pour Gillette et j’ai repris la route du retour avant d’être un naufragé du train pour passer la nuit comme un SDF dont personne n’en a rien à faire non plus.

Et j’ai réfléchi pour trouver une solution. Elle est tellement évidente que suis étonné que vous ayez pas eu l’idée, mais vu les idées que vous avez en ce moment, c’est trop simple pour vous.

Alors voilà :

Puisque qu’on est capable de se mobiliser davantage pour les vacanciers plutôt que les travailleurs, offrez plus de vacances aux gens. En plus, pendant les vacances, ils sont heureux, souriants, ils s’occupent même pas de vous, ils vous oublient. Vous ferez ce que vous voudrez et puis, comme il vaut mieux partir en vacances quand on est jeune, décomptez les jours de vacances sur la retraite : celui qui aura pris moins de jours partira plus tôt à la retraite (et le contraire est bon, mais il vaut mieux l’énoncer dans ce sens). C’est comme qui dirait la retraite à crédit !

Ainsi, plus d’âge pivot et comme les gens préfèrent les bons moments, ils les prendront avant et votre problème de retraite sera résolu. Vous en aurez fini avec les travailleurs qui peuvent pas travailler. Ça résoudra aussi le problème du chômage. Et à l’âge de la retraite, y aura plus de retraités pour vous enquiquiner.

J’étais tellement fier de ma trouvaille, que j’en ai parlé à Gillette. Elle a pas été convaincue. Elle m’a répondu :

T’es impayable ! Si t’existais pas faudrait t’inventer !

Mais par contre, elle a été ravie du pullover : sans capuche, un col rond, des manches longues sans trou, ni court devant et long derrière ou l’inverse, de belles torsades.

La couleur te plait ?
Pourquoi tu l’as choisi de cette couleur ?
Ben, depuis un an tu randonnes, il ira bien avec ton gilet : sur l’étiquette, c’est marqué Jaune Bouton d’Or. C’est beau les boutons d’or. Et puis, ça sent le printemps. Le renouveau de la nature et l’agitation des hommes…
Il est parfait, qu’elle a répondu en souriant.

Voilà Monsieur le Ministre, j’espère que toute cette simplicité vous plaira et que ça vous aidera à sortir de ce mauvais pas.

A bientôt

Sylvestre