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desmotsdebrie

Atelier d'écriture créative, écriture partagée, en groupe, littérature, poésie, nouvelles, apprentissage techniques d'écriture,exemples de contrainte d'écriture

Episode 13 Sylvestre et le bureau de vote

 Episode 13 Sylvestre et le bureau de vote

 

Monsieur Le Ministre des Elections,

 

Voilà Monsieur Le Ministre, le 26 mai dernier, j’ai tenu le bureau de vote de Trouvert en Brie, là où j’habite. Arthur m’a envoyé une invitation. Je devais choisir la plage horaire où je pouvais aider. D’abord, j’ai pas compris. Comment ça se fait que moi, simple citoyen, on me demande de tenir le bureau de vote ?

Bon, que je me suis dit, les élus ils ont tellement de travail à la Mairie, surtout avec les administrés qui se plaignent toujours de quelque chose. Je suis en retraite, je peux bien faire ça, pour eux, c’est de la main d’œuvre gratuite. J’en ai parlé à Gillette et elle a bien rigolé :

  • Fais-le, c’est bon pour ta culture générale et ça te guérira de la votinite. Compte pas sur moi, j’ai autre chose à faire ! Bon courage !

Donc, on a fait comme ça.

Quand je suis arrivé, juste avant 14h, j’ai croisé Mademoiselle Marianne qui sortait.

  • Bonjour Mademoiselle, que j’ai dit en enlevant ma casquette,
  • Bonjour Sylvestre, tu viens faire ton devoir ?
  • Oui, même que je viens tenir le bureau de vote. C’est la première fois.
  • Alors, je te souhaite bien du courage…
  • Gillette aussi m’a dit ça, c’est si terrible que ça ?
  • Je dirais que c’est assez …surprenant. C’est pour ça que je viens à cette heure-ci, ainsi je ne fais pas trop de mauvaises rencontres. La tienne me rassure. Ne manque pas de venir me raconter.

 Je promets et elle s’en va.

Ça a commencé quand la police municipale m’a dit :

  • Monsieur Sylvestre, vous devez enlever votre gilet jaune et les chiens sont interdits.
  • Quoi, encore un sens interdit ! Mais c’est une manie !

J’ai pas eu le temps de continuer : Mademoiselle Marianne est revenue sur ses pas et a agité sa canne :

  • Mais enfin, qu’est ce que c’est cette manière de faire : vous n’aimez pas le rouge, maintenant c’est le jaune et les chiens ! Et pourquoi pas les pauvres pendant que vous y êtes !

Ça s’est vrai : Mademoiselle Marianne, elle aime pas qu’on fasse des différences. Déjà à l’école, elle se fâchait mais personne ne l’écoute.

Alors, j’ai calmé le jeu et j’ai proposé un compromis :

  • J’accepte d’enlever mon gilet jaune mais je garde mes chiens, sinon je m’en vais. C’est vous qui m’avez invité. Fallait me le dire avant. Je me place au bout de la table à gauche, Diogène et Galilée à l’extrême gauche, et vous verrez tout ira bien.

C’est comme ça qu’on a fait et le policier municipal a remmenée Mademoiselle Marianne chez elle. Je me suis assis à gauche de la boite à voix et mes chiens à l’extrême gauche. C’est toujours la place de Diogène et il aime pas changer de place. Ils se sont couchés et ça a commencé.

D’abord on a attendu. Pour meubler le temps, on a causé pour faire connaissance et mes collègues m’ont expliqué le fonctionnement : le choix des bulletins de vote étalés sur trois tables alignées, ça en fait des candidats ! l’isoloir, les assesseurs, les registres et la boite à voix. Ils l’appellent une U.R.N.E, ça doit vouloir dire, si j’ai bien compris ce que m’a expliqué Gillette avant de partir : Une boite pour Récidivistes Notoirement en Etat de surchauffe. Bref, ça agit comme un fusible. Les votants croient qu’ils ont la parole et ils votent.

 Pour l’instant, les surchauffés, ils digéraient leur repas devant la télé ou ils faisaient la sieste parce qu’on a pas vus avant un bon moment.

Le premier qui est arrivé, il a regardé tous les bulletins étalés sur les tables, un à un comme s’il les connaissait pas, il a fait deux fois l’aller et le retour et il a dit à la secrétaire :

  • Il manque les bulletins pour le Rassemblement National. La secrétaire lui a trouvé le papier mais il en pas voulu. Il a dit que c’était pas pour lui qu’il voterait. J’ai rien compris, à part que ça devait être un em…… (vous avez compris).

Bref, il a voté et il est parti en sifflant.

La deuxième votante, elle a laissé tomber sa carte d’électrice dans la boite à voix et a fait un scandale quand on lui a dit qu’on pouvait pas l’ouvrir avant le soir : où elle attendait où elle revenait. Elle a décidé de revenir.

Une autre nous a déclaré avoir mis deux bulletins dans l’enveloppe : impossible de se décider entre deux candidats qui sont « trop beaux » tous les deux !

Un troisième nous a dit :

  • A dans quinze jours pour le deuxième tour.

 Ben mon gars, tu viendras pour rien, y a qu’un tour.

Ça c’est corsé quand une famille entière est arrivée : la mère avec un marmot qui braillait dans sa poussette, un gamin de chaque côté de la poussette et le père derrière. Des comme ça j’en ai pas vus souvent. Mon dernier souvenir remontait au film « Les Raisins de la Colère ». L’homme était pas très grand, les cheveux blonds peignés en arrière, un pantalon large soutenu par des bretelles qui lui faisaient un feu de plancher au-dessus des godillots. Le ventre en avant et les mains dans les poches, il est venu direct sur moi. Il m’a tendu sa carte d’électeur.

Je lui ai expliqué qu’il devait passer par l’isoloir avant de voter. Mais il voulait pas : il m’agitait son enveloppe sous le nez. Il s’est mis à brailler, réveillant Galilée :

  • Pas besoin, je sais pour qui je vote. C’est dans l’enveloppe je la mets direct dans l’urne.

Ça a duré un petit moment, il voulait pas comprendre. Diogène s’est mis les pattes sur les yeux pour plus entendre et le surchauffé a menacé :

  • C’est comme ça ou je vote pas !
  • Fais comme tu veux mon gars !

Alors il a remballé son enveloppe, remis les mains dans ses poches, rassemblé sa famille et il est parti sans dire au revoir ni voté. Je pense quand même que c’était mieux pour le résultat des élections, Monsieur Le Ministre.

Puis, quelques citoyens sont venus, accomplissant leur devoir dans le calme, respectant la procédure, polis dans l’obéissance et la bonne humeur. Ils étaient heureux de dire leur mot. Ça m’a presque endormi d’ailleurs et Galilée s’est mis à ronfler.

J’allais me lever pour partir quand Madame Suzanne est arrivée. Elle habite pas loin de la Mairie et elle a 90 ans bien tassés comme son dos. Elle est venue à pied aidée de son déambulateur. Comme elle pouvait pas monter les escaliers, je l’ai aidée à entrer par la sortie de secours où on accède en montant gentiment la rue. Tout s’est bien passé jusqu’au moment où elle a voulu entrer dans l’isoloir.

On sait pas ce qui s’est passé : il s’est carrément éventré sur la vieille dame qui a été ensevelie sous le rideau. Pour le coup, elle était bien isolée !

Elle a dû taper dedans avec le déambulateur et comme le matériel administratif, c’est pas bien solide, Pan ! ça s’est cassé. On l’a relevée. Elle était toute décoiffée mais en vie. Heureusement ! Alors joyeusement elle a dit :

  • Ben mon Sylvestre, faut avoir du courage, c’est dangereux de venir voter ! On croit bien faire et ça nous retombe dessus !

Puis elle a voté et le policier municipal l’a accompagnée pour rentrer chez elle. Je suis parti là-dessus et du coup, j’ai oublié de voter.

Alors voilà Monsieur Le Ministre, je savais pas que tenir un bureau de vote c’était aussi distrayant. Ce qui me tracasse, c’est qu’on en a pas vu beaucoup des citoyens. Mobiliser tant de personnel pour si peu de participants, je sais pas si ça vaut le coup. Heureusement qu’on le fait bénévolement sinon ça coûterait plus que ça ne rapporte. Du coup, j’ai eu une idée :

Pourquoi vous faites pas voter les Français la semaine ? Si vous offrez un journée de congé aux travailleurs plutôt que leur gâcher une belle journée de printemps, ils viendraient plus nombreux.

Aux autres, vous offrez un bon-cadeau ou un panier garni : la bouffe ça marche à tous les coups !

Plutôt que leur dire que c’est un devoir, donnez-leur une récompense.

Ça ce serait un vrai changement !

 

Sylvestre

 

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M
Super le texte Catherine, j'ai bien rigolé !
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